Nous retrouvons Bruno Mégret au Vauban, un café qu’il apprécie pour sa vue imprenable sur les Invalides et la possibilité de garer facilement sa voiture. Sa parole est rare, mais le jeune retraité a accepté l’entretien, car il a des choses à dire. Il souhaite partager son analyse sur la situation du pays et son paysage politique, mais surtout faire part de ses critiques vis-à-vis du FN, qu’il juge trop à gauche et de la stratégie de sa présidente qui a, selon lui, montré ses limites. Pour lui, « le FN a été confisqué par une famille ». Entretien à front renversé.
Le Point.fr : Marine Le Pen s’est qualifiée au second tour de la présidentielle. Avec 10,6 millions de voix, elle a battu le record de voix historique du FN. Ce résultat est-il satisfaisant ?
Bruno Mégret : Toutes les conditions étaient réunies pour un grand renouvellement politique. Le PS dans sa version traditionnelle se trouvait dans une impasse idéologique. Il ne pouvait plus rester crédible en continuant à proposer toujours plus de prestations pour toujours moins de travail. Or, c’est ce qu’a fait son candidat (Benoît Hamon, NDLR) avec sa proposition de revenu universel. Résultat : le PS s’est marginalisé et a été laminé. De l’autre côté, le parti Les Républicains était à bout de souffle. S’étant aligné, au fil des années, sur le politiquement correct à la remorque de la gauche, il a perdu son identité propre. Il se retrouve de surcroît divisé entre une composante de centre gauche majoritaire chez les cadres et une sensibilité droitière dominante chez les militants. Face à cet effondrement des partis politiques traditionnels, le FN était le mieux placé, numériquement et idéologiquement, pour assurer le renouveau. Mais, en raison d’un programme inadapté et d’une stratégie à contrepied, le FN a manqué cette opportunité historique.
C’est-à-dire ?
Au lieu de mettre l’accent sur l’identité, l’immigration et la mondialisation, les dirigeants du FN se sont focalisés sur la sortie de l’Union européenne et de l’euro, ce qui a inquiété une partie de leurs électeurs potentiels. Au lieu de donner la priorité aux valeurs, à la famille et à l’éducation, ils se sont positionnés sur l’axe « ni droite ni gauche », délaissant au second tour les électeurs de droite au profit de ceux de Mélenchon. Au lieu de préconiser une politique économique de baisse des charges, des dépenses publiques et des impôts, ils ont proposé un programme social digne des années 1950. Ce faisant, ils se sont coupés des professions libérales, des cadres, des patrons de PME, des classes moyennes qui étaient prêtes à les soutenir. Ils ne se sont préoccupés que des classes populaires. Alors que, pour gagner, il faut les unes et les autres. On ne peut pas s’adresser uniquement à ceux qui sont en difficulté, il faut aussi parler à ceux qui gagnent et qui entreprennent.
Le FN doit-il abandonner la sortie de l’euro et de l’Union européenne ?
Sur la question de la souveraineté, il fallait une vision adaptée au monde d’aujourd’hui. Car nous ne sommes plus en 1950, nous sommes dans un monde multipolaire dominé par le choc des civilisations. Pour s’imposer dans ce contexte, il faut que l’Europe s’érige en un pôle de puissance capable de préserver l’indépendance, l’identité, la sécurité et la prospérité des nations qui la composent. Il faut une Europe capable de stopper l’immigration, d’assurer un protectionnisme économique à ses frontières, de réindustrialiser le continent et de créer une alliance militaire européenne pour sortir de l’Otan. Le FN aurait été plus crédible avec un tel programme.
Outre le programme, Marine Le Pen a-t-elle été à la hauteur de l’événement ?
Le débat face à Macron n’a pas été bon. Il a montré les limites de la candidate du Front national. Si le « point de détail » a donné un coup d’arrêt à la progression du FN de Jean-Marie Le Pen, le débat sera sans doute « le point de détail » de Marine Le Pen. Car ces débats du second tour ont une dimension historique. Chacun se souvient du « monopole du cœur » lors du débat entre Mitterrand et Giscard, du « tout à fait monsieur le Premier ministre » entre Mitterrand et Chirac, du « calmez-vous » de Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal, du « moi, président » de Hollande face à Sarkozy. De quoi se souviendront les Français s’agissant du débat de 2017 ? Que Marine Le Pen n’a pas assuré !
Vous réclamez un virage à droite alors que Macron s’est fait élire en dépassant le clivage droite/gauche. Ce clivage n’est-il pas désuet ?
Le système politique français risquait de disparaître. Il a été magistralement sauvé par Macron et ses soutiens qui ont mis en scène un simulacre de renouveau. La manœuvre reposait sur deux idées simples : renouveler les élus et se réclamer de la droite comme de la gauche. Mais, derrière cet habillage, il n’y a rien de neuf. C’est toujours la même politique immigrationiste, mondialiste, européiste, atlantiste et libertaire. C’est donc en réalité la gauche sociale-démocrate qui a triomphé lors de ces élections. Paradoxalement, c’est même la ligne Valls qui s’est imposée bien que Valls soit aujourd’hui marginalisé. Ce scrutin conduit cependant à une clarification, car Macron rassemble toute la gauche sociale-démocrate, y compris ceux qui portaient l’étiquette Républicains. Cette configuration devrait donc pousser à la création d’une nouvelle et grande force de droite. Et la logique voudrait que le FN et la fraction droitière des Républicains se rapprochent pour la constituer.
Pourtant, presque tous les députés FN ont été élus sur d’anciennes terres de gauche. Cet état des lieux ne valide-t-il pas la stratégie de Marine Le Pen ?
Il est normal qu’avec sa stratégie Marine Le Pen ait gagné des circonscriptions dans le bassin minier. Mais, ailleurs en France, cela n’a pas fonctionné, même chez Florian Philippot qui est pourtant le grand maître de cette stratégie. Il ne faut pas oublier que la France n’est pas Hénin-Beaumont et que le ralliement d’électeurs de gauche au FN a toujours existé, mais pour des motivations identitaires et non sociales.
Le lepénisme est-il un frein à la conquête du pouvoir ?
Oui. Marine Le Pen est, semble-t-il, incapable de s’entourer de personnalités de poids et d’accepter un minimum de diversité idéologique dans son parti. D’ailleurs, il est révélateur que la seule qui ait pu exister de manière autonome est une Le Pen (Marion Maréchal-Le Pen, NDLR). De ce point de vue, la fille fait moins bien que son père.
Y a-t-il une malédiction Le Pen ?
Ce n’est pas une malédiction, c’est un système familial. Le FN a été confisqué par une famille. Du coup, les défauts du chef ont des conséquences démultipliées sur le parti. C’est dommage, car il y avait aussi des points positifs dans la démarche de Marine Le Pen, comme la dédiabolisation, l’implantation territoriale, l’affirmation de la conquête du pouvoir.
Merci à SimonMcKay