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TRIBUNE – En pleine déconfiture dans le monde arabe, les Frères musulmans concentrent leurs efforts sur l’Europe avec le soutien des pouvoirs publics turcs, explique l’historien.

Le Centre français du culte musulman (CFCM) est une instance associative créée en 2003 sous l’égide du ministère de l’Intérieur, instance qui représentele culte musulman de France, le régit dans ses différents aspects et constitue l’interlocuteur collectif des pouvoirs publics. En dépit de ses limites, cette organisation est très importante depuis quelques années. De facto, un partage à l’amiable de la présidence du CFCM s’est opéré, à tour de rôle, entre ce qu’il convient d’appeler les représentants de l’islam algérien et de l’islam marocain de France, les deux États n’étant jamais très éloignés des scrutins et des mosquées.

Cela a provoqué le courroux de plusieurs composantes du CFCM, notamment les Frères musulmans de l’UOIF, qui ont parfois boycottéles élections de l’instance. Dans le cadre de la présidence tournante du CFCM, l’arrivée à la présidence le 1er juillet 2017 d’Ahmet Ogras, un représentant de l’islam turc minoritaire, permet aux Frères musulmans de revenir par la grande porte de manière tout à fait inattendue.
Une hostilité croissante

Depuis que l’Égypte a emprisonné en 2013 la direction mondiale des Frères, de nombreux événements illustrent l’agressivité de cette organisation passée sous tutelle turco-qatarienne. Cela suscite une hostilité croissante des États arabes, comme l’atteste le récent embargo imposé au Qatar. C’est pourquoi les Frères intensifient leur contrôle sur la Turquie, ce que démontrent les suites du coup d’État de 2016. Et ils se redéploient vers l’Europe, ce qu’illustre l’activisme d’Erdogan et de son parti (AKP) auprès des musulmans de France.

L’embargo qatarien est l’ultime avatar de la guerre qui oppose depuis des décenniesles États arabes et l’internationale révolutionnaire des Frères. Depuis Sayyed el Qotb, l’objectif de la confrérie est de détruire les régimes à leurs yeux faussement musulmans pour imposer le règne direct de Dieu sur terre (la hakimiyya), un califat unificateur ou à défaut des Républiques islamiques.

Face à l’Égypte nassérienne, l’Arabie saoudite est devenue en 1954 le protecteur des Frères. Des dizaines de milliers de Frères ont instruit, administré et «ré-islamisé» l’Arabie saoudite, qui a financé en retour leur développement mondial. Mais en 1990, lors de la guerre du Golfe, les Frères, dont la direction se trouve en Égypte, prennent fait et cause pour Saddam Hussein. Les Saoud chassent d’un coup des milliers de Frères, coupent leur aide financière, puis structurent contre eux des mouvements «salafistes».

Durant deux décennies (1991-2011), les Frères poursuivent leur expansion mondiale grâce au soutien du Qatar. Ce minuscule et richissime État devient leur banque mondiale et la diffusion de leur pensée se fait grâce à la première chaîne de télévision internationale arabe, al-Jezira, même si une subtile stratégie d’ouverture a pu masquer ce fait. Quand le printemps arabe sonne en Tunisie,al-Jezira devient la caisse de résonanceet de diffusion de la révolution en Égypte, en Libye, en Syrie, au Bahreïn puis au Yémen, sous la tutelle des Frères. Quand les régimes arabes comprennent la manœuvre, ils se retournent contre la petite chaîne, et les ennuis du Qatar commencent.

Car une fois parvenus au pouvoir, en coalition, en situation de monopole, ou les armes à la main, les appétences totalitaires des Frères sèment partout tension, terreur ou division. Profitant de la dynamique arabe, les Frères intensifient leur contrôle sur la Turquie (via l’AKP et son président), jusqu’au vrai-faux putsch de l’été 2016. Erdogan offre aux Frères leur plus grand trophée, la Turquie du honni Kémal Attatürk: armée laïque, intellectuels de gaucheet Kurdes sont mis échec et mat par le néo-islamisme affairisteet populiste. La Turquie a même rêvé de redevenirla puissance néo-ottomane de ses anciennes provinces arabes.(…)

Face à ces menaces, élites et régimes arabes reprennent partout le contrôle de la situation, souvent avec grande brutalité. En juillet 2013, l’armée égyptienne sort les Frères du jeu politique. Les Émirats arabes uniset l’Égypte décrètent la Confrérie organisation terroriste. Redoutant l’éradication par la force, les Frères tunisiens, sousla houlettede leur rusé patron, acceptent un pacte constitutionnel, renonçant à la charia, à l’inégalité des femmes et acceptant la liberté de conscience. Cela leur a permis de sauver l’essentiel.

Partout ailleurs, les Frères sonten situation critique. Au Maroc, ils se heurtent au monarque. En Algérie, les élections de 2017 les ont confinés à la marginalité. En Libye, malgré leur coup de force postélectoral de 2014, ils ont échoué à s’emparer de l’État et de ses ressources. En Palestine, Israël et l’OLP ont décidé d’en finir avec la domination du Hamas à Gaza. En Syrie, leur coalition, écrasée par la guerre civile, est cantonnée à la défense d’un réduit exsangue au nord du pays.

En 2017, les Frères sont donc bloqués dans le monde arabe. Leur salut viendra de la Turquie et de l’Europe. Grâce à sa puissance financière autocratique, Erdogan finance les organisations nationales des Frères en Europe – surtout si elles sont turques. La France est une pièce maîtresse dans ce jeu. Personnalités, associations, médias, entreprises, mosquées et compagnons de route des Frères sont parfaitement connus, souvent notabilisés. Ils agissent en toute impunité, comme si le monde arabe était un ailleurs inconnu. Aussi est-il important pour la Turquie d’entrer dans le dossier de l’islam de France, le principal en Europe après la Russie.

Les réseaux islamistes français et la Turquie d’Erdogan ont été des acteurs importants du djihad syrien. Après des années de guerre, les services d’Erdogan sont devenus de fins connaisseurs de l’islam radical français. Des milliers de jeunes Européens et Maghrébins ont transité par son pays vers ou en provenance de la Syrie. En dépit des retombées dramatiques sur Europe, la plupart de nos responsables politiques feignent d’ignorer tout cela. Mais depuis l’été 2016, la nature autocratique et brutale du pouvoir d’Erdogan est patente. En 2015, celui-ci a tenu l’Europe à sa merci en ouvrant les vannes migratoires pour la déstabiliser. En 2017, Erdogan maintient la pression migratoire grâce à ses amis libyens. Après avoir négocié des milliards d’euros avec Bruxelles, il a battu la campagne électorale en Europe (attitude contestée en Allemagne) et réclame la libre circulation pour ses citoyens. Bien qu’il ait envoyé des dizaines de milliers d’opposants en prison et bombardé les alliés kurdes des Européens, Erdogan conspue nos alliés germaniques et exige de ses émigrés qu’ils ne s’intègrent pas en Europe.

L’arrivée d’Ahmet Ogras, un de ses fidèles de l’AKP à la tête du CFCM, avec le soutien de l’UOIF, a donc peu de chances de résoudre les problèmes de l’islam de France.

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Merci à valdorf

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