FIGAROVOX/TRIBUNE – En anticipant son départ et en affichant le soutien de ses hommes, Pierre de Villiers a pris de court Emmanuel Macron sur le terrain de la communication. Pour Arnaud Benedetti, Christophe Castaner a fait une erreur en relançant la polémique.
En communication le plus difficile consiste parfois à se faire oublier. La séquence post-démission du général de Villiers a ceci de paradoxal que sur ce terrain de la com’ où il a jusqu’ici indéniablement démontré un réel savoir-faire, le pouvoir macronien semble en panne d’inspiration. Quelque chose semble s’être soudainement grippé, à l’instar d’un grimpeur virevoltant sur les cols du Tour de France et subitement en proie à une terrible défaillance. Coup sur coup, plusieurs éléments viennent corroborer ce constat d’un début de perte de main dont on ne sait s’il s’avérera durable ou passager.
Tout d’abord, les déclarations d’une rare sévérité de l’Hermès provençal d’Emmanuel Macron, le porte-parole du gouvernement, s’en prenant à la scénarisation supposée du départ de l’ancien chef d’État-major sous les applaudissements de ses frères d’armes. Non sans une grandeur teintée d’une forme de malice audacieuse, Pierre de Villiers a en effet prouvé qu’il savait manier, après l’humiliation subie, les images et les symboles. Il s’agit là d’un événement qui vise à montrer que bien que muette l’armée n’est pas dupe ; qu’elle a appris, elle aussi, depuis longtemps à communiquer et qu’à partir du moment où la gestion de l’image s’impose comme un moyen d’expression, silencieux mais signifiant, de ce quinquennat nouveau, il n’est pas fondamentalement surprenant que d’autres acteurs y recourent dans leur relation à l’opinion.
Certes d’aucuns s’étonneront de cette ostentation du soldat dans un pays où le primat du civil, à juste titre, fonde le pouvoir. Mais ce serait là oublier qu’il existe aussi un imaginaire gaullien rebelle qui continue de sourdre dans les plis de la mémoire nationale quand l’enjeu de la sécurité apparaît, a fortiori dans une époque de tensions, sous-estimé. Le trauma de Juin 40 opère comme le spectre au-dessus du royaume de Danemark. C’est cet arrière-fond mémoriel qu’a su avec panache réactiver le général de Villiers mais cette réactivation eut été inopérante si le jeune Président, par la brusquerie inattendue de sa parole, n’avait lui-même créé les conditions de ce retour très politique de l’armée après un demi-siècle de discrétion publique. Dans ce contexte relativement exceptionnel, les propos du secrétaire d’État Castaner mettant en cause la loyauté de l’ancien chef d’État-major, qualifié pour la circonstance de «poète revendicatif», loin de clore la crise viennent «réinfecter» la plaie, ouvrant la voie à une communication gouvernementale marquée maladroitement au fer rouge du ressentiment. Tout se passe comme si par une ruse de l’histoire le soldat, nonobstant les freins de son statut, parvenait à subvertir la com’ jusque-là insolente du politique.
Cette dernière, justement, perd de son énergie et de sa maîtrise, alors qu’elle était à l’orée de sa mandature le mouvement même du macronisme, le signe d’un prologue réussi, la promesse d’un renouvellement de l’écriture politique. Le timing est bousculé quand le général «grille» la convocation élyséenne du vendredi et annonce son départ un mercredi. Pris de cours le maître des horloges, au risque d’une boursouflure d’images, se fait aviateur, subliminal Tom Cruise, se précipite à Istres et annule in extremis sa participation matinale aux états généraux de l’alimentation. Temps médiatique qui reprend le dessus, temps politique qui sort du lit présidentiel, temps de crise qui rappelle que le surinvestissement symbolique du Prince, lorsqu’il ne s’accompagne pas de l’humilité du pénitent, ne suffit pas à apaiser ce soupçon de doute qui étreint désormais une bonne partie d’un espace public jusque-là attentivement bienveillant…
Ainsi se propage, brèche entrouverte dans l’irénisme jusque-là ambiant, une tonalité médiatiquement interrogative, parfois critique, souvent peu amène. L’offre éditoriale au cœur de l’été s’interroge. Elle s’interroge sur le silence de la ministre des armées, contrainte à venir s’exposer sur le plateau de TF1 au cours d’un exercice dont on mesure non sans peine qu’il fut une vallée de souffrances sémantiques. Elle s’interroge sur la capacité de l’hôte de l’Élysée à partager les eaux de l’autorité politique et de l’autoritarisme technocratique. Elle s’interroge inévitablement sur les conséquences d’une crise qui affecte non seulement le lien entre le pouvoir civil et les militaires mais sur les suites politiques de ce qui constitue une sortie de route communicationnelle. Elle s’interroge enfin sur ce que nous dit de sa psychologie profonde ce nouveau pouvoir après la déclaration à contretemps du porte-parole du gouvernement.
Loin des héritages du mystérieux Pilhan, maître posthume de l’usage rare et géométrique de la narration médiatique, la séquence n’est plus produite par l’Élysée mais à nouveau par une mediasphere qui reprend non seulement son autonomie mais qui de fait réimpose son rythme au Président qui se croyait maître du temps, des mots et des hommes… Sans doute seul un militaire, stratège éprouvé par tant de terrains accidentés et périlleux, pouvait perturber ainsi un ordre des choses jusque-là subtilement huilé. L’histoire n’est jamais close!