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Les épreuves subies par une jeune juriste soulèvent de difficiles questions sur la race, l’appartenance et la bureaucratie de la discrimination positive dans un pays glorifié pour son histoire égalitaire.

Après plus d’un an d’un périple kafkaïen au sein de la bureaucratie de la vérification raciale de Salvador, l’histoire d’Araújo met en lumière un conflit irrésolu au cœur de l’identité brésilienne.

Fin 2015, Araújo louche sur un poste à pourvoir à la direction des affaires juridiques de la mairie de Salvador, sa ville natale. Tout le monde l’encourage à déposer sa candidature, via une procédure de discrimination positive qui venait d’être mise en place. «Ce poste de procureur est pour toi, c’est obligé», lui dit son patron de l’époque. «Si j’avais la chance de pouvoir passer par les quotas, je le ferais», lui disent ses amis. «Et c’est ton cas, alors fonce!»

Depuis 2011, l’État de Bahia et sa capitale, Salvador, avaient mis en œuvre une série de mesures visant à lutter contre les inégalités raciales. Parmi ces législations, certaines interdisent de discriminer les fidèles de religions afro-brésiliennes, d’autres sont à l’origine d’un comité de défense contre le racisme institutionnel et d’autres encore ont officialisé une politique de quotas dans le recrutement administratif.

«J’ai toujours suspecté que c’était lié à mes cheveux», déclare Araújo pour parler du «soap opera racial» dans lequel elle est embarquée depuis son dépôt de candidature. Sur la photo jointe à son questionnaire –une obligation pour tous les candidats s’identifiant comme preto ou pardo– ses cheveux lissés tombent en rideau derrière ses épaules. Un style qui n’a rien de naturel. Sur ses photos d’adolescente, Araújo révèle une épaisse crinière bouclée. «Ma coiffure est un choix personnel», explique-t-elle, «ça me facilite la vie, c’est tout».

Araújo savait que l’étape suivante était celle de la vérification raciale. Le document officiel annexé au dossier de candidature stipule effectivement que les candidats ayant franchi le premier palier seront soumis à un examen de vérification «pouvant prendre la forme d’une analyse photographique». Des instructions similaires à celles que l’on trouve dans d’autres administrations aux quatre coins du pays et que le système judiciaire brésilien considère comme légitimes. En août 2016, le ministère brésilien de la fonction publique, soulignant le besoin urgent de lutter contre la fraude raciale, envoyait des directives à tous les organismes gouvernementaux pour les enjoindre à créer des «commissions de vérification composées de membres répartis selon leur genre, leur race et leur origine géographique». Sauf que l’application de ces directives n’est pas standardisée et les stratégies de vérification peuvent énormément varier d’une région à l’autre.

[…] Le Brésil est célèbre pour sa diversité ethnique, un cocktail racial souvent porté aux nues. En 2012, dans une interview sur Live Science, Stephen Stearns, biologiste évolutionnaire de Yale, cherchait à illustrer l’homogénéisation génétique de l’humanité. Dans quelques siècles, avait-il déclaré, nous ressembleront tous aux Brésiliens. Dans les années 1940, des sociologues parmi les plus éminents du Brésil avaient assimilé le pays à une «démocratie raciale» –bien plus proche du melting pot idéal que les États-Unis de l’époque. Sauf que si le pays pouvait effectivement se targuer d’une plus grande harmonie inter-communautaire, la formule occultait toute la violence historique qui avait forgé sa population multiraciale.

De fait, le Brésil aura déporté et réduit en esclavage onze fois plus d’Africains que l’Amérique du Nord coloniale. Le pays sera aussi le dernier du monde occidental à abolir l’esclavage, en 1888. À côté des 5,5 millions d’esclaves africains débarqués sur les côtes brésiliennes, les colons portugais représentèrent une fraction minime de la population coloniale. Des hommes, pour la vaste majorité d’entre eux, qui allaient s’unir avec des indigènes ou des esclaves –en général en faisant usage de la force. Pour reprendre les termes du sociologue Edward Telles, les «métis brésiliens ont été en grande partie engendrés par la violence sexuelle durant toute l’époque de l’esclavage».

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Slate.fr

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