Xavier Crettiez, professeur de science politique, a conclu au printemps une étude sur les processus de radicalisation pour le ministère de la Justice. Des entretiens menés en prison, coécrits avec Bilel Ainine, chercheur en science politique, est né le livre “Soldats de Dieu. Paroles de djihadistes incarcérés”, à paraître le 7 septembre. Un portrait quasi clinique du djihadisme. Interview et extraits.
Vous êtes à l’origine chercheur spécialisé dans la violence et la radicalisation en politique, notamment au sein des mouvements basques et corses. Pour “Soldats de Dieu”, vous avez recueilli la parole de djihadistes incarcérés. Avez-vous décelé des similitudes avec votre ancien objet de recherche ?
Xavier Crettiez : Bizarrement, oui. J’ai souvent retrouvé chez ces djihadistes une même cohérence dans le discours et dans la structuration idéologique que chez les nationalistes corses ou basques avec qui j’ai pu échanger auparavant. Et parallèlement, je note la même “invisibilité” de ce discours.
[…]Parmi eux, aucun repenti, ou, au moins, exprimant des doutes…
Ceux que nous avons rencontrés revendiquaient totalement leur engagement, ce qui évidemment laisse perplexe quant au travail de déradicalisation… L’un, qui dans sa cellule passe sa journée à lire le Coran, dort par terre par piété, nous a expliqué :
“Je n’ai aucune envie de tuer ni aucune haine pour la France, mais je serai contraint de le faire en sortant de prison puisque c’est Dieu qui le veut !”
En fait, je crois qu’ils étaient satisfaits de débattre leurs convictions idéologiques avec nous. Certains sont très structurés intellectuellement, contrairement à l’idée commune, et rassurante, qui veut les faire passer pour des fous décérébrés. […]
Ils connaissent pour la plupart très bien les spécialistes de la radicalisation, Khosrokhavar, Burgat. Ou Kepel, qu’ils semblent en revanche tous vouer aux gémonies.
Effet de mode, ou d’entraînement, je ne sais pas. Mais c’est vrai que les critiques contre Kepel, qu’ils voient comme un adversaire de l’islam, étaient toutes si unanimes et ordonnées que c’en était frappant ! Assez inattendu aussi, l’adhésion de certains aux thèses de Michel Onfray. Ou d’Eric Zemmour. […]
Abdel : “Une fois, j’étais dans un bus et j’ai dit à un frère qui était avec moi : comment ils vont arrêter les Français lorsque les talibans seront ici ? ! Il a rigolé, il m’a dit, mais tu penses qu’eux ils vont combattre, regarde-les ! Et là j’ai tourné mon regard et je les ai regardés les écouteurs sur la tête machin et tout, tu leur demandes de faire un 100 m ils s’écroulent par terre. Qu’est-ce qu’ils vont faire ! Les jeunes ne sont plus des jeunes ici, ils sont déjà vieux, ce n’est pas un pays de combattants… […] Prenons les Russes, par exemple. Ils combattaient, ils criaient, ils aiment leur pays et tout. Ça, c’est une armée difficile à combattre parce qu’elle a un but. Mais prenez un Français, il va combattre quoi ? La patrie ? La patrie des jeunes, c’est Apple ! Le drapeau français, ils l’ont foutu dehors. Il n’y a rien de patriotique […]. Plus le temps avance, mieux c’est pour nous ! Parce qu’on voit bien comment devient la société française. Pour l’instant, elle ne se dirige pas vers un pays de combattants. ”
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