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La Ciotat, été 2016. Antoine a accepté de suivre un atelier d’écriture où demi-douzaine de jeunes gens en quête d’emploi sont invités à écrire collectivement un roman noir avec l’aide d’Olivia, une romancière connue, descendue de Paris. Le travail d’écriture va faire resurgir le passé ouvrier de la ville, son chantier naval fermé depuis 25 ans, toute une nostalgie qui n’intéresse pas Antoine. Davantage connecté à l’anxiété du monde actuel, il va s’opposer rapidement au groupe et à Olivia, que la violence du jeune homme va alarmer autant que séduire.

Il y a dans cet atelier un garçon venu pour « faire ses heures », une jeune fille qui voudrait profiter de l’occasion pour faire revivre la mémoire de son grand-père, immigré algérien qui a vécu la grandeur des chantiers navals et leur fermeture. Et aussi le plaisantin de service et un jeune musulman qui n’aime pas qu’on le charrie. Et puis – et surtout – Antoine (Matthieu Lucci), magnifique personnage de fiction, construction psychologique tout à fait vraisemblable et émanation de l’esprit du temps, figure politique et corps désirable.

Cette polyphonie de mots très actuels, qui brasse les thèmes de la vie française en 2016 sur un rythme que l’on dirait improvisé, mais qui procède d’une science exacte, suffirait à faire de L’Atelier une version méridionale et réflexive d’Entre les murs. Mais, comme dans un autre scénario écrit par Robin Campillo que l’on vient de découvrir à Cannes, un couple se dégage du groupe. Ils ne sont pas amants, contrairement à Sean et Nathan dans 120 battements par minute, mais Olivia et Antoine se cherchent, méchamment, agressivement, sensuellement. Il y a du désir charnel dans cette joute entre l’intellectuelle et le fils d’ouvrier. Le récit ménage de larges plages qui donnent d’Antoine une image complexe : fasciné par la violence qu’il pratique virtuellement, en ligne et plus concrètement en compagnie d’une bande d’amis séduits par les discours ultranationalistes, désespéré par son quotidien, il propose à ses camarades d’atelier des hypothèses de récit qui les révulsent.

Comme les autres, Olivia est rebutée par ce qu’elle devine de la vision du monde du jeune homme. Elle est aussi fascinée. Abandonnant presque tout à fait l’ironie qui est sa marque de fabrique, Marina Foïs mine sa romancière de l’intérieur, en fait une femme vulnérable, au bord de l’épuisement sinon physique, du moins de son inspiration. Elle veut s’approprier Antoine parce qu’il est jeune, beau et capable de s’exclure lui-même d’un groupe au nom de l’idée qu’il se fait de lui-même. Mais aussi parce qu’il apporte la chair fraîche nécessaire à la vitalité des histoires que la romancière peine de plus en plus à mettre au monde. Cette ambiguïté finit par envahir le film, à infléchir sa composition de portrait de groupe pour en faire une œuvre beaucoup plus troublante. Rarement aura-t-on fait entendre de manière aussi convaincante les séductions du chant des sirènes d’extrême droite. Laurent Cantet n’a pas peur de s’approcher du cœur des ténèbres, éclairé à la seule lumière de son jeune interprète qui – consciemment ou non – prend tous les risques pour faire comprendre son personnage.

(Merci à Boris Iblis)

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