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CHRONIQUE – Le clivage droite-gauche ne peut pas être dépassé, car il est indépassable. Jean-Louis Harouel, grand connaisseur de l’histoire de la religion chrétienne, en fait la démonstration brillante dans son livre Droite-gauche. Ce n’est pas fini.

Connaissez-vous Marcion? Non, pas Macron! Cette presque homonymie est mieux qu’un hasard. Ce livre aurait pu s’intituler De Marcion à Macron. Ou encore: Macron par Marcion. Mais qui est ce Marcion? Un prédicateur religieux du IIe siècle qui entreprit de débarrasser le christianisme de ses racines juives et de substituer au «Dieu juste» de l’Ancien Testament un «Dieu bon», seulement incarné en Jésus. Pour lui, les hommes sont tous des Dieux et n’ont que faire des interdits du Décalogue: ne pas tuer, ne pas voler… Il fut condamné par l’Église et cette hérésie s’appelle la gnose.

Mais quel rapport avec Macron? Un peu de patience. Les gnostiques rejettent tout ce qui entrave leurs hommes-Dieux: famille, mariage, procréation, patrie ; ils ont une passion pour le criminel, l’ennemi, la prostituée, l’homosexuel, tous ceux qui paraissent en marge ou en rupture de la société. Vous commencez à comprendre: les gnostiques sont les ancêtres du libéralisme sociétal qui fait de l’individu un roi et de ses caprices une règle d’or.

On peut aisément récapituler la descendance de Marcion et de ses gnostiques: avortement, divorce, mariage homosexuel, PMA et GPA pour tous, mais aussi laxisme pénal ou encore internationalisme militant. Même si cette révélation afflige l’orgueil de notre Jupiter tonnant, les sociétés occidentales vivent dans l’ombre, non de Macron, mais de Marcion. Et ce n’est pas fini: une autre hérésie chrétienne, le millénarisme, version prosaïque du messianisme religieux, promet le bonheur sur terre ; un bonheur collectif, au nom de l’égalité. Ce millénarisme est bien sûr l’ancêtre de Marx et des mouvements communistes. Le millénarisme et la gnose sont les deux branches de la gauche, les deux gauches, l’autoritaire et la libérale, la collectiviste et la libertaire, la gauche-caserne et la gauche-phalanstère. Elles s’allient et se combattent alternativement.

On a coutume de dire après Chesterton que les utopies de la gauche sont «des idées chrétiennes devenues folles». Notre auteur précise: pas folles, hérétiques. Jean-Louis Harouel est un professeur de droit éminent qui, depuis plusieurs ouvrages déjà, tourne sa réflexion autour de l’influence du facteur religieux sur les comportements idéologiques et politiques. Il a enfin trouvé un éditeur qui ne gâche pas son travail. Ce dernier livre est l’aboutissement de sa réflexion: clair, lumineux même, notre professeur nous emmène aux sources religieuses de la pensée de gauche en nous décrivant ses deux branches principales, le libertarisme sociétal et le communisme, comme deux hérésies du christianisme.

Hérésie, car, comme nous l’explique Paul Veyne, le christianisme est une religion du salut dans l’au-delà et non un projet social ou politique pour ce bas monde. Hérésie car «c’est un contresens que de construire un droit sur la base des préceptes évangéliques alors que Jésus n’a pas voulu être créateur de droit, qu’il n’a aucunement judiciarisé la vie quotidienne». Avis aux chrétiens de gauche qui ont fait de l’accueil des migrants une religion qui se moque des patries, avis aux droit-de-l’hommistes, qui ont pris la place des communistes comme les nouveaux millénaristes: ils sont tous des enfants de Marcion. Tous hérétiques.

Et la droite dans tout ça? Elle est tout ce que la gauche n’est pas. Elle est le christianisme. Elle est le contraire de l’utopie, ce qui la protège de la violence révolutionnaire. Elle ne coupe pas l’universalisme chrétien du nationalisme du peuple juif de la Bible. Elle respecte l’individu, maître de son destin, car le christianisme est une religion du salut individuel. Elle pense que le mal est en l’homme et non à l’extérieur, dans la société ; qu’il faut d’abord punir le criminel, et non le rééduquer. Elle est au fond indifférente envers l’organisation politique et sociale de la cité terrestre, car l’objectif du christianisme est de changer les âmes, pas la société. Elle est libérale mais pas libertaire, car le libéralisme sociétal est contre la société et contre la liberté. Pas libre-échangiste non plus si cela va à l’encontre des intérêts de son pays. Elle fait passer, à la manière d’un Burke ou d’un Joseph de Maistre, les droits des Anglais ou des Français avant les «droits humains».

On tire ainsi une double leçon de ce livre remarquable. La première donne le titre à l’ouvrage: le clivage droite-gauche ne peut être dépassé car il est indépassable, puisque ses racines religieuses millénaires ne peuvent être arrachées. L’actuelle fracture entre populisme et progressisme, entre homme enraciné et hors-sol, ressuscite la traditionnelle opposition entre la gauche et la droite. Les partis politiques qui incarnaient ce clivage depuis plusieurs décennies meurent sous nos yeux, mais le clivage droite-gauche renaît.

Seconde leçon que notre auteur ne tire pas explicitement: la droite n’existe plus. Elle n’est qu’une autre gauche d’une société déchristianisée. Elle est, elle aussi, une hérésie, une utopie, se veut le parti de demain, comme la gauche, libérale et libre-échangiste, mondialiste et droit-de-l’hommiste, faisant de l’individu roi un terrible bélier enfonçant les structures traditionnelles.

La conclusion de notre professeur se veut peut-être incantation optimiste alors qu’elle est d’un pessimisme qui fait froid dans le dos: «Parce qu’elle a hérité du christianisme le refus de l’utopie et les valeurs qui font durer les sociétés humaines, la droite peut prendre le relais de la religion pour continuer à fonder et guider notre civilisation. Parce qu’elle a seule les moyens d’empêcher la mort de la France et des autres pays européens post-chrétiens, la droite est notre dernière chance.» Ce livre est un bréviaire pour une droite en quête de programme. Mais on ne voit personne capable de l’assumer.

Et Macron dans tout cela? Il est bien le lointain héritier de son quasi-homonyme, Marcion. Il est de gauche. On comprend après avoir lu cet ouvrage qu’il n’est qu’un hérétique du christianisme de plus. Mais il n’a pas d’opposition de droite. Il n’est pas le meilleur, il est le seul.

Le Figaro

Merci à valdorf

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