Durant son discours devant les responsables de la police et de la gendarmerie mercredi 18 octobre, Emmanuel Macron a affiché une grande fermeté sur la question migratoire. «Je souhaite que nous reconduisions de manière intraitable celles et ceux qui n’ont pas de titre», a-t-il déclaré. Pour la démographe, cette politique ambitieuse, pour aboutir, impose de remettre profondément en cause le droit actuel.
LE FIGARO . – «Je souhaite que nous retrouvions l’efficacité d’une politique de reconduite à la frontière», a déclaré le chef de l’État. Pourquoi «ceux qui n’ont pas de titre» ne sont-ils plus reconduits à la frontière?
Michèle TRIBALAT. – “C’est techniquement difficile, en raison d’une procédure juridique très compliquée, avec la possibilité d’erreurs dans l’exécution, erreurs qui aboutissent à son annulation. La mauvaise coopération des pays de retour empêche aussi l’exécution de mesures d’éloignement. Certains étrangers en situation irrégulière se sont débarrassés de leurs papiers et sont difficiles à identifier. Le peu d’efficacité, au final, décourage aussi l’engagement d’une procédure. Prenons les déboutés du droit d’asile.
D’après le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2015, 40.206 personnes ont été déboutées du droit d’asile en 2014. La même année, 20.910 obligations à quitter le territoire français (OQTF) ont été délivrées et 1432 personnes seulement ont été éloignées.”
Quel est le rôle joué par l’Union européenne dans cette politique?
“Les décisions politiques françaises sont encadrées par des traités, conventions, directives et règlements. C’est ainsi que, dans le traité de l’Union, l’article 19 interdit les expulsions collectives. C’est aussi le cas de l’article 4 du protocole 4 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. L’éloignement doit avoir été précédé d’un examen individuel de chaque cas. C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé en 2012 que l’interception de clandestins en haute mer en 2009 par la marine italienne et leur renvoi vers la Libye contrevenait au protocole additionnel à la Convention, étendant ainsi la notion d’expulsions collectives à des migrants n’ayant pas foulé le sol italien.
Par ailleurs, comme consigné dans l’article 19 du traité de l’Union, nul ne peut être expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture et autres traitement inhumains ou dégradants. Ce qui limite sérieusement le champ d’application des mesures d’éloignement. Dans son livre Exodus, Paul Collier jugeait les normes appliquées par les cours européennes pour renvoyer un immigrant clandestin trop élevées (insulting high). Seulement 4 des 54 pays africains, écrivait-il, remplissent ces normes.
En 2011, la loi française a intégré la directive Retour 2008-115 du 16 décembre 2008. La décision d’éloignement ouvre, en principe, une période de départ volontaire, fixée à 30 jours en France. Elle peut s’accompagner d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) pouvant aller jusqu’à 5 ans. Toutes les décisions prises, refus de titre, OQTF, IRTF… peuvent faire l’objet d’un recours.”
Peut-on évaluer le nombre de clandestins?
“Non. Des approximations à partir de calculs de coin de table sur des catégories non exclusives (interpellations, placements en centre de rétention, aide médicale d’État, déboutés du droit d’asile…) ont été conduites. Une fourchette de 200.000 à 400.000 a circulé dans la presse depuis l’annonce faite par le gouvernement Jospin en 1998, reprise par le gouvernement de droite en 2005. Elle refait surface de temps à autre. Je ne sais pas comment ces chiffres sont établis. Je doute qu’ils le soient sérieusement. Mais il est plus que probable que, compte tenu des arrivées massives de clandestins ces dernières années et des reflux de déboutés du droit d’asile en provenance de pays qui en ont accueilli le plus, leur nombre ait fortement augmenté.”
Beaucoup d’observateurs ont cependant noté que la France accueillait peu de réfugiés depuis 2015…
“Je ne suis pas favorable à ce que l’on qualifie de réfugiés les migrants illégaux qui ont débarqué en masse en Europe à partir de 2015. Comment faire comprendre ensuite qu’il faut instruire des procédures d’asile au bout desquelles figure un grand nombre de déboutés?
C’est vrai que la France a été moins visée que l’Autriche, l’Allemagne ou la Suède par les flux d’illégaux en 2015. Si l’on s’en tient aux données publiées par Eurostat sur les demandes d’asile en 2015-2016, l’Allemagne en a reçu 14,2 ‰ par habitant et la France 2,4 ‰. Le Royaume-Uni encore moins (1,2 ‰), Royaume-Uni qui a pourtant voté le Brexit, en grande partie sur la question migratoire.
Juger du régime migratoire d’un pays en général, et de la France en particulier, sur ces deux années, laisse croire que ces colonnes de migrants parcourant l’Europe après une traversée en mer difficile constitueraient dorénavant l’ordinaire de la migration et deviendraient ainsi la référence pour apprécier l’immigration étrangère en Europe. Le régime migratoire d’un pays serait alors jugé sur sa porosité à l’immigration illégale. Les discours sur «les migrants» ont écrasé tout intérêt pour l’immigration légale.
La mise en ligne de données sur le sujet le 11 juillet 2017 sur le site du ministère de l’Intérieur est passée relativement inaperçue. Quelle que soit la source – ministère de l’Intérieur, Eurostat, estimations Insee à partir des enquêtes annuelles de recensement – on observe, pourtant, une forte tendance à la hausse de l’immigration étrangère légale en France avec les années 2000, après une période de stagnation de vingt-cinq ans. L’accroissement relatif moyen annuel de la proportion d’immigrés entre 1999 et 2015 n’a rien à envier à celui observé pendant les Trente Glorieuses, alors qu’il a été voisin de zéro entre 1975 et 1999. On ne peut guère en conclure que la France en a fini avec l’immigration étrangère!”
La question migratoire est-elle le défi des décennies à venir…
“Une bonne partie des opinions publiques européennes n’est pas favorable à la perpétuation d’une immigration massive. Elle souhaite que les gouvernements freinent les flux et ralentissent ainsi la vitesse à laquelle la composition ethnique de leur environnement se transforme.
Les élites européennes prônent au contraire l’ouverture et souhaitent une interprétation extensive de l’asile. Les candidats à la migration savent que ce qui importe d’abord, c’est d’arriver à mettre un pied sur le continent européen, dont on aura ensuite un mal fou à les faire partir.”
Ils n’ont pas tort.
“La conception européenne extensive des droits de l’homme appliquée à la planète entière laisse, de fait, l’Europe ouverte à tous les vents.
La seule solution qu’on a trouvée (ou plutôt qu’Angela Merkel a trouvé) pour freiner le mouvement a été de confier à un pays limitrophe, la Turquie, le pouvoir, moyennant finances, d’empêcher les départs.
On lui a en quelque sorte demandé de s’asseoir sur un droit reconnu par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Le message est visiblement passé au-delà des espérances. Les gouvernants européens aimeraient bien que d’autres pays de transit en fassent autant et leur épargnent ainsi une révision tragique de l’idéologie des droits de l’homme dont ils sont si fiers. J
e ne crois pas que cette fiction pourra tenir éternellement.”
Merci à valdorf