Matthieu Rougé, le curé de Saint-Ferdinand-des-Ternes nous explique l’origine historique de la fête de la Toussaint. Il rappelle que les traces religieuses chrétiennes sont omniprésentes dans l’espace public de notre pays.
Habiter en France, c’est fêter une Toussaint permanente. Car nous vivons environnés de saints: le président de la République habite et travaille rue du Faubourg-Saint-Honoré, nous vibrons aux exploits du Paris Saint-Germain ou des Verts de Saint-Étienne, nous nous soignons aux hôpitaux Saint-Antoine ou Saint-Vincent-de-Paul, nous débarquons à Marseille ou à Bordeaux en passant par les gares Saint-Charles ou Saint-Jean. Plus d’une commune française sur dix porte le nom d’un saint et, dans certains départements, cette proportion peut s’élever jusqu’à une commune sur trois. La ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, dans les années 1960 encore, a pris le nom d’un jeune martyr romain du IIIe siècle venu évangéliser le nord de la Gaule.
On s’étonne qu’un esprit fort n’ait pas encore, au nom d’une laïcité intransigeante, déposé un recours devant le Conseil d’État pour exiger une déconfessionnalisation générale de la toponymie française. On se rendrait alors à Étienne ou à Quentin, on se donnerait rendez-vous au pied de la tour Jacques, on irait applaudir des comédiens au Théâtre de la Porte Martin… On ressusciterait ainsi les pratiques de Jdanov, «ministre de la culture» de Staline, qui «rebaptisait», si l’on peut dire, lieux et livres pour les purger de leurs références non communistes. Il est vrai que les révolutionnaires français avaient donné l’exemple en remplaçant les semaines par des décades et le calendrier des saints par celui des volailles ou des plantes potagères. L’hypothèse de cette «désanctification» est à la fois dérisoire et significative.
Rien ne serait plus ridicule en effet, on le voit bien, que la suppression générale de la mention des saints (qui ne serait d’ailleurs complète que si leurs noms propres également étaient jetés aux oubliettes). Mais la chasse actuelle aux crèches et aux croix ne s’inscrit-elle pas dans une logique analogue? Cette peur des traces religieuses de notre histoire et de notre géographie ne risque-t-elle pas de nous tuer en nous coupant de nos racines? Elle passe en tout cas à côté d’une lecture paisiblement culturelle de données d’origine confessionnelle: la crèche peut être comprise comme une hymne à la vie et à l’accueil, les calvaires comme des points de repère topographiques et les saints comme des membres de notre panthéon national.
C’est précisément de la transformation du Panthéon de Rome qu’est issue la fête de la Toussaint. Dans le sillage de l’Orient chrétien qui fait mémoire de tous les martyrs, dès le IVe siècle, le dimanche après la Pentecôte, le pape Boniface IV restaure le Panthéon au début du VIIe siècle, en lui donnant le nom d’«église de sainte Marie et des martyrs». Il s’agit à la fois d’assumer et de transformer la culture gréco-latine et le goût de la piété romaine pour les figures vénérables.
C’est la consécration d’une chapelle dédiée à tous les saints à la basilique Saint-Pierre de Rome qui conduit au VIIIe siècle à en universaliser la fête et à la déplacer au 1er novembre. S’y adjoint, dès le Xe siècle, depuis le monastère bourguignon de Cluny, une célébration des défunts le 2 novembre. Ces dates correspondent, semble-t-il, à la fête celte de Samain, passage automnal de la lumière aux ténèbres. La logique évangélique accueille et retourne cette vision en célébrant le triomphe de la lumière, en dépit des apparences de la saison ou de la mort terrestre. […]
La sainteté est un témoignage mais aussi un programme de vie: elle donne à tous, croyants ou «hommes de bonne volonté», le goût de grandir dans la lumière par l’ouverture du cœur et le service. Léon Bloy avait bien raison d’avertir: «Il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints.»
Merci à valdorf