Longtemps, le directeur de Mediapart a été considéré comme le modèle du «journaliste indépendant». Une image flatteuse qui s’estompe depuis quelques semaines. Accusé de complaisance à l’égard de Tariq Ramadan, de flirter avec l’islamisme et de tenir des propos irresponsables à l’encontre de Charlie Hebdo, Edwy Plenel est désormais sous le feu des critiques de ses confrères. Retour sur l’itinéraire de l’ancien patron du Monde.
(…) Dans cette école (Sciences-Po), qui célèbre le «hijab day», l’auteur de Pour les musulmans a été accueilli sous un tonnerre d’applaudissement. Au cœur de ce microcosme en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, à deux pas du Café de Flore et des Deux Magots, le rebelle officiel est comme chez lui. «C’est une personnalité que j’admire beaucoup, j’espère qu’il va remettre Manuel Valls à sa place», confie une étudiante voilée. D’autres se montrent cependant plus sceptiques: «Je suis curieux de l’entendre débattre sur sa pratique journalistique. Il se présente comme un journaliste d’investigation assez neutre, mais ne défend-il pas certaines opinions?»
(…) Au contraire, il a insidieusement glissé de son rôle de contre-pouvoir vers l’abus de pouvoir permanent. Plenel a joué un rôle central dans cette dérive, usant de son pouvoir d’intimidation, de ses rapports intimes avec policiers et juges pour faire et défaire les carrières, clouer au pilori hommes politiques, patrons et intellectuels, traquant les «dérapages» des «néo-réactionnaires», calomniant sans scrupule des suspects (Pierre Bérégovoy, Dominique Baudis), recherchant coûte que coûte leur mort politique ou sociale. Pour les deux journalistes, Plenel n’est pas un enquêteur, mais un délateur. Dans le même mouvement, il soupçonne, accuse et condamne. Dans un chapitre intitulé «L’appel de Fouché», Cohen et Péan montrent un Plenel hanté par le ministre de la Police de Napoléon, dont il préface même les Mémoires. Sous sa plume, l’inventeur de la police moderne ne devient rien de moins que l’inventeur de «la politique moderne».
Péan et Cohen mettent également en lumière la dimension profondément idéologique de son journalisme. Dans les années 1970, le futur patron du Monde est le camarade Krasny, son pseudonyme à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Au début des années 2000, il reproche à Lionel Jospin d’avoir caché son passé trotskiste. Lui-même, n’a jamais vraiment rompu avec Krasny. Ce dernier restera son double malfaisant. «Le trotskisme comme expérience et comme héritage fait à jamais partie de mon identité», reconnaît-il lui-même dans Secrets de jeunesse (2001).
Aux ouvriers, ce trotskiste préfère ceux que Frantz Fanon appelle les «damnés de la terre», les colonisés. (…) Le jeune Edwy a vécu comme un arrachement le départ forcé de Martinique. Cet épisode de son enfance est peut-être la clé intime de sa rancune vis-à-vis de l’État, de la République et de la France.
Une rancune qui, selon Péan et Cohen, a contribué à faire basculer Le Monde dans l’idéologie des minorités et de la repentance. Pour le patron du Monde, «Vichy et la guerre d’Algérie sont devenus des dossiers toujours à instruire, note Péan et Cohen dans le chapitre “Ils n’aiment pas la France”. Parce que les deux périodes ont pour dénominateur commun de présenter l’État français sous son jour le plus défavorable. Parce qu’elles constituent des maladies infectieuses de la République, ou plutôt des symptômes de sa disparition…» Affaibli au sein du journal, il démissionne de la direction en novembre 2004, avant de quitter définitivement le journal le 31 octobre 2005.
Le 6 janvier 2015, Edwy Plenel court les plateaux pour mettre en garde contre la publicité faite à Soumission , roman d’un «auteur dont on sait depuis longtemps qu’il est islamophobe». Il alerte contre une «idéologie meurtrière» et la place grandissante que prennent les intellectuels «islamophobes». Ironie tragique: le lendemain, le 7 janvier, c’est une autre «idéologie meurtrière» qui frappe. Il ne s’agit plus de mots mais de balles réelles. La rédaction de Charlie Hebdo est décimée à la kalachnikov aux cris d’Allah Akbar. Ce jour-là dans les kiosques, l’hebdomadaire affichait sur sa une «Les prédictions du mage Houellebecq».
(…) Dans son ton mielleux et ses prédications inlassables sur l’amour de l’Autre, Edwy Plenel tient plus du curé que de l’anarchiste, «un trotskiste lacrymal» dit Pierre-André Taguieff. Un curé qui utilise la «religion des sociétés modernes» (Balzac) qu’est le journalisme pour diffuser ses idées. Une vision messianique de sa propre vocation de justicier qui le condamne à finir un jour lui-même au tribunal médiatique qu’il a contribué à créer. C’est une leçon de l’Histoire et de la dynamique révolutionnaire: les guillotineurs finissent toujours guillotinés.
Merci à valdorf