Vers l’Allemagne pour 1000 dollars. Le documentaire diffusé il y a quelques jours sur ZDF (la deuxième chaîne de télévision publique allemande) montre le commerce fait sur le dos des migrants et, dans quelle proportion, la politique européenne favorise ce trafic en Méditerranée.
L’homme qu’on présente comme étant Ali se définit comme humaniste : « ma principale motivation à faire cela est d’aider des Syriens contraints de quitter leur maison et leur bien ». Que ces personnes paient une fortune au prétendu « humaniste » pour son œuvre, Ali ne s’en cache pas, mais formule les choses de telle manière qu’il couvrirait à peine ses frais « évidemment, je ne fais pas cela gratuitement, je propose mes services pour un certain montant » et insiste tellement qu’on en vient à croire au personnage de Super-Ali qui multiplie les bonnes actions : « je ne plume personne, je prends 1000 dollars. Et ces 1000 dollars offrent une vie meilleure à quelqu’un ».
C’est dont avec la personnalité d’Ali que le reportage (une coproduction allemande et danoise) démarre : les passeurs et leurs complices qui parlent de leur commerce minable, mais aussi de corruption.
Une scène du documentaire présente un commandant des gardes côtes tunisiens qui indique où se déroulent des contrôles et qui avoue clairement : « je ne fais pas cela par pitié. Ce que je veux, c’est de l’argent ».
Passage le plus terrible du film est lorsqu’un Libyen frappe deux femmes et, avec un camarade, s’apprête à les violer, invectivant de manière particulièrement agressive les caméramans invités à s’en aller…
Le reportage pose également cette question cynique : « qui sont ces personnes qui dirigent la plus grande agence de voyage du monde ? », cynique car on distingue une limite très étroite entre le commerce honnête et le crime. Mais les réponses données par les intervenants (Ali présente des gilets de sauvetage qui sont les meilleurs en terme de qualité) sont souvent assez déroutantes de sorte que l’on distingue à peine la différence entre le langage d’un marchand d’êtres humains et le discours de l’épicier du coin.
Mais en réalité, du haut de ses 25 ans, Ali appartient bien au camp des criminels qui se font de l’argent facile avec la détresse des autres et, très probablement, n’a aucune idée de l’incidence que son action a en Europe qui se transforme en poudrière. Les journalistes précisent qu’il fait partie d’une bande de passeurs turcs qui agit depuis Izmir. Il est d’ailleurs possible qu’Ali pense honnêtement exercer un métier parfaitement normal, c’est sa vision du droit, pour preuve il accepte les caméras sans dissimuler son visage : « ce travail est considéré comme illégal, mais je pense qu’il est légal ». Par ailleurs, il n’aide que les personnes qui font appel à son aide. Dans un passage du film où il annule la traversée car le vent en mer est trop important, il met en avant son humanité : évidemment c’est du baratin, une manière de se justifier. A un moment, il reçoit un message sur WhatsApp d’un ancien client d’Allemagne : « j’ai sorti sa famille : trois nouveaux clients ! ».
Durant le reportage, on découvre aussi des passeurs qui filment leur arrivée sur les côtes européennes, comme pour accuser bonne réception des migrants en Europe.
Tous les réfugiés qui interviennent directement ou indirectement sont en Allemagne ou bien souhaitent s’y rendre. Peut-être que la nationalité de l’équipe de tournage y est pour quelque chose. Mais bien plus encore est-il probable que la « culture de bienvenue » tant promue par la chancelière, son gouvernement, l’opposition et les médias ait idéalisé l’Allemagne comme destination intéressante.
Ainsi, le documentaire donne toute la matière à argumenter à tous ceux opposés au regroupement familial, lequel justement favorise ce trafic des passeurs. On entend la chancelière Angela Merkel : «nous avons besoin d’ordre et de planification. Et surtout, cela signifie que les passeurs ne sont plus souverains sur les eaux territoriales », mais cette citation date d’octobre 2015 dans le cadre de négociations avec la Turquie. Depuis, peu de choses ont changé en matière de politique extérieure.
A ce stade, il faut distinguer les passeurs qui permettent la fuite depuis le continent africain, et les aides aux réfugiés européens qui recueillent les migrants, tout cela se passe dans les eaux internationales et non plus sur la terre ferme. Les passeurs sont donc bien arrêtés… mais à mi chemin et alors soulagés de leur chargement d’êtres humains qui sont embarqués dans des navires militaires. Le film met bien en avant le rôle, et donc aussi la responsabilité de chacun.
Une experte de la criminalité organisée internationale estime que le déploiement de navires militaires sert d’alibi pour les électeurs. L’engagement de l’armée facilite le travail et réduit le coût des passeurs. Toutefois, l’engagement des navires ne peut pas être estimé que sous cet angle, il y a bien des gens qui se noient en mer. Un Tunisien s’occupe de tombes provisoires de migrants noyés et on sent qu’il le fait vraiment par humanité, touché par le sort de ceux qui partaient d’Afrique parce qu’ils rêvaient d’une vie meilleure.
Aras est un de ces Syriens qui souhaite venir en Allemagne, chez sa famille. En Turquie il est en lieu sûr, le prétendu Etat islamique n’y a pas son mot à dire, il n’y a pas de guerre civile. Malgré cela, il souhaite venir dans la république de Merkel, d’autant qu’un enfant (il s’agirait de son frère) s’extasie au téléphone « qu’il reçoit de l’argent, des glaces, du chocolat et du lait ». Evidemment qu’on doit prendre cela en considération venant de personnes qui fuient l’enfer de la guerre syrienne. Dans cette configuration, il n’est pas non-plus étonnant qu’Aras considère ses passeurs, non pas comme de criminels marchands d’êtres humains, mais comme des aideurs : «sans passeur, il me serait impossible de rejoindre l’Europe ».
Un procureur Italien Calogero Ferrara dirige une unité spéciale qui lutte contre le trafic de réfugiés. Il plaide pour que ces criminels soient traités de la même manière que le sont les mafieux. Il précise que le commerce des passeurs est plus fructueux que jamais auparavant. Pourquoi ? Parce que la demande est illimitée !
Le Super-Ali du début du film nargue les autorités : « allez vous faire foutre, vous ne pouvez rien faire ! ». Erreur, puisque les autorités turques l’arrêtent après le tournage et il est emprisonné quelques mois. Une fois libéré, il se plaint « de tout devoir recommencer depuis le début » : le masque tombe, son humanisme qui prétendait aider les autres est bien faux.