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CHRONIQUE – Le Dictionnaire de la guerre et de la paix, nouvellement publié, est une somme historique, juridique, technique et philosophique sur la guerre. Des «war studies» à la française. Inégal et passionnant.

On croyait s’en être débarrassé. La guerre était rangée au rayon des accessoires d’un passé révolu, entre la quenouille et le rouet. Nous vivions dans un temps de paix éternelle, sans frontières ni ennemis. Nos soldats ne servaient qu’à apporter des sacs de riz aux déshérités ou à séparer des peuplades sauvages qui ne connaissaient pas encore le bonheur d’un dimanche au supermarché. On ne faisait plus la guerre qu’aux kilos en trop ou au cholestérol ; même le concept de «guerre économique» nous paraissait encore excessivement belliqueux. Plus besoin de faire la guerre, ni de la préparer, ni même de la penser. Pas de «war studies» à la française ; tout pour le beurre et rien pour les canons!

Cette parenthèse enchantée a pris fin en 2015. Le sang a coulé dans les rues de Paris, et les principaux responsables de l’État ont ressorti des placards une rhétorique que l’on croyait surannée. La guerre était de retour! Mais quelle guerre? Contre qui? Comment? Pourquoi? Toutes ces questions demeuraient évanescentes. On sautait comme un cabri en criant : «La guerre! La guerre! La guerre!» Mais on n’était pas plus avancé.

Dans ce contexte aussi tragique que confus, la parution de ce Dictionnaire de la guerre et de la paix tombe à pic. Plus de deux cents contributeurs, dont une énorme majorité de militaires et d’universitaires. Plus de trois cents entrées, d’intérêt et de valeurs forcément inégaux. On ouvre avec le 11 septembre 2001 et on ferme avec le Web social. On passe d’Alexandre à Napoléon, de Joffre à Foch, jusqu’à de Gaulle (mais pas de Pétain le vainqueur de Verdun!). De Thucydide à Saint Thomas d’Aquin, jusqu’à Carl Schmitt. De l’OTAN au Pacte de Varsovie. De la guerre juste à la guerre totale. Des nazis à la guerre navale, de la SDN à l’ONU, du pacifisme aux armes nucléaires. De Machiavel à Montesquieu. De Clausewitz à Jomini. C’est souvent brillant, toujours édifiant. Parfois exaspérant, comme ce texte sur l’OTAN, qui ressemble à une page de publicité emplie «d’éléments de langage» otaniens sur «l’alliance la plus durable de l’histoire». Ou les articles sur le djihad et l’islam, condensés chimiquement pur de politiquement correct, qui veulent à toute force nous faire accroire que le djihad est la traduction islamique de la «guerre juste» chrétienne.

À quelques pages de là, nous avons justement l’article sur Saint Thomas d’Aquin qui remet les pendules à l’heure. La guerre juste, c’est lui. Mais pas seulement. Celle-ci s’encastre dans une réflexion plus large, qui dénie toute légitimité aux guerres privées, contrairement à celles conduites par les États, «alors que dans le christianisme primitif ces deux types de violence étaient semblablement condamnés». L’inverse du Coran et de l’islam! Toute l’histoire de l’Europe s’inscrit dans cette distinction. L’État comme garantie contre le mal absolu que sont les guerres civiles («Léviathan» de Hobbes) et comme protecteur de la nation contre l’ennemi. Longue et brillante histoire qui va du Moyen Âge jusqu’au début du XXe siècle. Histoire illustrée jusqu’à la caricature par la France où, selon la célèbre formule de Charles Tilly, «l’État (a) fait la guerre et la guerre fait l’État».

Une histoire qui va se briser deux fois. D’abord avec les guerres mondiales du XXe siècle. On passe des guerres justes aux guerres totales. Il n’y a plus de batailles décisives, mais une guerre interminable qui engage les nations et les peuples dans une mobilisation absolue et complète. C’en est trop. Les peuples européens se dégoûtent de la guerre. Plus jamais ça! On met la guerre hors la loi. Le pacte Briand-Kellogg échoue dans les années 1930, mais la charte des Nations unies, en 1945, en reprend la thématique pacifiste: le recours à la force est prohibé.

L’hégémonie américaine, qui vient après celle de l’Angleterre, deux pays marchands, laisse croire que le temps du «doux commerce» est advenu. La dissuasion nucléaire empêche tout affrontement entre grandes puissances. Interdite la guerre, la vraie, celle des grandes puissances, la seule, la vraie guerre.

Sortie par la grande porte de l’Histoire, la guerre va rentrer par la fenêtre. Les guerres asymétriques opposent «des États qui se perçoivent en paix à des pays qui ont oublié ce qu’était la différence entre la guerre et la paix». L’État se désengage et laisse la place aux compagnies privées. En Afghanistan, en Irak, c’est le retour des mercenaires. À partir de l’invention du canon et de la poudre, la technologie avait favorisé les États qui seuls détenaient les moyens de se les payer, au détriment des féodaux. À la fin du XXe siècle, les progrès technologiques ont l’effet inverse: la démocratisation des technologies favorise l’émergence de la violence armée par des groupes restreints, qu’on appelle «terroristes». Cette «désétatisation du fait guerrier» entraîne la privatisation de la guerre et l’individualisation de la violence. C’est la «déspecification de la guerre». Les «distinctions entre combattant, civil, terroriste, délinquant, s’amenuisent». On passe d’un statut à l’autre sans crier gare. La guerre est nulle part et partout. Il n’y plus de champ de bataille et tout est champ de bataille. Ce n’est plus guerre ou paix, mais guerre et paix. Le progrès (droit international, charte des Nations unies, construction européenne, etc.) nous a ramenés plus de mille ans en arrière, avant l’édification des États-nations.

Le Léviathan affaibli et ridiculisé laisse la place, comme l’avait prévu Hobbes, au retour des logiques de guerres civiles. La guerre à l’européenne est marginalisée, mais pas «la nature de la guerre conçue comme opposition de volontés ayant pour finalité de se contraindre».

Clausewitz est dépassé. Saint Thomas d’Aquin aussi. Mais pas Thucydide. L’historien grec des guerres du Péloponnèse avait expliqué que ce qu’il appelait «la nécessité de nature, [qui] pousse à dominer les autres chaque fois qu’on est le plus fort».

Cette «nécessité de nature» l’emportera toujours sur l’idée de justice.

Le Figaro

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