Dans “Loyautés radicales”, le sociologue Fabien Truong se plonge dans la vie de quelques jeunes hommes de Grigny, “commune de Seine-Saint-Denis où a grandi Amédy Coulibaly”, le terroriste de l’Hyper Cacher. Une manière pour lui d’essayer de mieux comprendre le phénomène de “radicalisation” et la place de la religion dans les quartiers et ainsi, peut-être, de mieux saisir “pourquoi s’exprime, aujourd’hui, un désir d’islam chez une frange de notre jeunesse“.
[…] L’idée est de travailler des biographies dans la dentelle pour sortir des points de vue “d’en haut”, et par là de démêler les logiques à l’œuvre derrière des phénomènes différents (le départ sur zone de guerre, l’attentat sur le sol de son propre pays, le besoin d’ordonner sa vie autour de l’islam) que l’on range derrière la même étiquette : “radicalisation”, “islam radical”. Derrière, il y a une vraie question : pourquoi s’exprime, aujourd’hui, un désir d’islam chez une frange de notre jeunesse – les mauvais garçons de la nation : de milieu populaire, issu de l’immigration, passé par la délinquance.Qu’entendez vous par le titre de votre ouvrage, Loyautés radicales ?
Je préfère en effet parler de Loyautés radicales plutôt que de la radicalisation qui implicitement laisse penser que la source du problème se loge ailleurs (sur internet, dans les mosquées, en Syrie, etc.). Inversement, l’idée de loyautés permet de bien voir comment ces “mauvais garçons” vivent ici et maintenant, en France. D’abord, il y a le fait que la cité est un monde social qui produit une multitude de conflits de loyautés. […] Finalement, ce livre traite de l’envers du décor de notre société capitaliste, sur les inégalités, la violence et les frustrations qu’elle produit.
A un âge où l’on cherche sa place en s’opposant, il y a un besoin de réponses. Le monde social a horreur du vide, et l’islam a trouvé ici une place de choix.
Les jeunes que vous avez rencontré ont-ils des “désirs de Syrie”, d’aller combattre en Syrie ?
Oui, certains, et le profil n’est pas le même que pour les terroristes maisons. Il y a globalement dans ce désir, malgré le combat et la mort, l’envie de construire dans un ailleurs meilleur, de s’inscrire dans un projet politique et dans un puissant imaginaire de la fugue. Il y a encore beaucoup de projections imaginées, ce n’est pas tout à fait la même chose. On s’en rend bien compte avec Radouane, diplômé de master, que je connais depuis plus de huit ans et qui s’ouvre à ce désir dans le livre…
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