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« Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort/Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. » Quand les élèves de quatrième de Véronique Marchais découvrent ce célèbre passage du Cid, il n’est pas rare d’entendre résonner dans la classe un désarmant : « C’est pas français, ça, M’dame ! » Remarque tout à fait légitime puisque, depuis la mise en œuvre des nouveaux programmes de l’Éducation nationale, la conjugaison du passé simple ne s’apprend plus qu’aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel en début de collège. Alors, rien d’étonnant que des terminaisons en « îmes », « âmes » ou « ûmes » déroutent quelque peu les élèves.

Après l’extinction progressive du mode subjonctif, le passé simple est devenu un temps menacé. Son apprentissage est plus que limité à l’école et, au collège, la littérature pour la jeunesse se lit dorénavant au présent et au passé composé, quand elle n’est pas totalement récrite pour expurger les conjugaisons au passé simple (ce fut le cas en 2005 avec le fameux Club des Cinq). En outre, à quelques exceptions près (Amélie Nothomb, Michel Houellebecq, Éric-Emmanuel Schmitt…), les auteurs contemporains ne raffolent plus de ce temps, jugé trop distant, emprunté, voire élitiste. Assiste-t-on à la disparition programmée du passé simple ?

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Voici comment est traité le passé simple dans les programmes de 2016 : c’est un « temps inutilisé mais éminemment littéraire et scolaire ». Attention, « il mérite une attention accrue », car son emploi est « hautement discriminant dans la production des écrits des élèves ». « Au lieu de demander à un collégien de maîtriser la deuxième personne du pluriel du passé simple – vous chantâtes -, rarement utilisée, pourquoi ne pas commencer par les formes les plus courantes de ce temps ? » justifiait Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, dans Télérama, en 2015.

La raison invoquée est donc l’usage, le côté utilitaire. La raison, plus officieuse, serait de ne pas pénaliser les enfants des classes populaires, le passé simple traînant injustement une réputation de temps bourgeois, voire aristocratique, alors que, historiquement, c’est « un temps du terroir, un parler de culs-terreux et de marins pêcheurs », comme le rappelait le philologue Claude Duneton dans l’une de ses chroniques du Figaro. L’essayiste et amoureux de la langue française Alain Borer (1) confirme que le passé simple n’a rien d’élitiste : on le trouvait « dans les lettres des poilus, dans les campagnes à l’époque de Racine, dans La Chanson de Roland et même dans L’Équipe jusqu’à des temps récents ».

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Cette tendance « bienveillante » va encore plus loin sur le terrain. Dans certaines régions, des inspecteurs enjoignent aux professeurs d’être encore plus indulgents. L’un d’eux, à Lille, s’est rendu célèbre en inventant la délicate formule de « sensation du passé simple »… En clair, si un élève écrit « il disa », « il prena » ou « il finissa », il ne faut pas le pénaliser : il a « senti » qu’il fallait employer le passé simple.

Emmanuelle de Riberolles, enseignante dans un collège rural en Thiérache, le constate tous les jours avec ses élèves de sixième : « Ils me disent il pouva, il parta, ils prenèrent… C’est une catastrophe ! En fait, en cours moyen, ils ont seulement fait du repérage, pas de la manipulation. Un jour, il faudra qu’ils maîtrisent ce temps, mais on ne sait pas trop quand… » Cette prof de lettres modernes syndiquée au Snalc (classé à droite) ne lâche rien sur la grammaire, elle fait recopier et répéter les verbes systématiquement à ses élèves et continue à étudier les classiques tout en travaillant sur des manuels antérieurs à la réforme, quand d’autres – surtout au premier degré – ont fini par céder à la pression de certains inspecteurs. « Dans les manuels, la littérature jeunesse est placée au même rang que les grands textes, on trouve Indochine ou Grand Corps malade à côté du Dormeur du val ! détaille Emmanuelle de Riberolles. Simplifier, c’est mal connaître l’enfant, qui adore les difficultés : L’Odysée, en sixième, a un succès énorme ! »

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Le Point

Merci à valdorf

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