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L’artiste belge d’origine rwandaise Laura Nsengiyumva a décidé de révolutionner une tradition belge de fin d’année en proposant un Saint Nicolas…femme et noire.

« C’est toi, la femme de Saint Nicolas ? » Telles ont été les réactions émerveillées des petits garçons d’un club de football à Evere, un quartier de Bruxelles, agréablement surpris par la visite début décembre d’une « Queen Nikkolah » des plus originales. Ce n’est pas un homme blanc déguisé en Saint Nicolas de Myre, la figure de père Noël fêté le 6 décembre en Europe du Nord, qui est venu leur donner des bonbons et leur demander s’ils avaient été sages durant l’année. Ils ont en revanche reçu la visite d’une beauté noire tout de rouge vêtue, arborant une mitre faite de perles et de cheveux.

« Les enfants ont tout déconstruit très vite et n’étaient pas surpris, ils étaient là pour les bonbons, les cadeaux, la fête », note Laura Nsengiyumva.

Les parents, issus de l’extrême diversité de Bruxelles, l’une des villes les plus cosmopolites d’Europe, étaient déjà conquis en arrivant. « Ils étaient soulagés de pouvoir vivre cette fête autrement et j’ai eu des retours très positifs », note l’artiste.

Décoloniser la Belgique

Pourquoi s’est-elle jetée à l’eau cette année en « Queen Nikkolah », écrit avec des « k » et un « h » comme en hommage à la chanteuse américaine Erykah Badu ? « J’ai juste eu le courage après un lent travail de déconstruction, répond-elle. Je me suis un peu réconciliée avec ma belgitude et me suis dit : si je veux, je prends la mitre, comme Basquiat avait pris la couronne. Si la mitre, avec sa forme phallique que j’ai rendue plus vulvique, me pose un problème, je peux me l’approprier et profiter de cette fête comme tout le monde ». Elle a donc vécu la meilleure Saint-Nicolas de sa vie.

Elle a choisi de rire en donnant à réfléchir. « Le noyau du débat, c’est qu’on n’accepte pas le côté créole de notre société, le fait que nous soyons mélangés et que les traditions changent avec les migrations, explique-t-elle. C’est un phénomène naturel. Le référent du Père fouettard, qui n’est apparu qu’à l’époque coloniale, c’est la serviabilité, le ridicule, la violence et la saleté. Sommes-nous dans la nostalgie de cette période ou voulons-nous avancer avec nos traditions et faire quelque chose de nouveau ? »

En attendant que le petit pavé qu’elle a lancé dans la mare produise son onde de choc, Laura Nsengiyumva est passée à ses autres projets. Parmi eux, une réplique à taille réelle de la statue équestre en cuivre du roi Leopold II, située dans le quartier royal du Trône à Bruxelles. Elle voudrait renverser le socle de la statue au-dessus de ce roi qui fut le propriétaire privé du Congo belge, en le faisant figurer en bloc de glace sur son cheval, pour le faire fondre lentement sous la lumière diffusée par le piédestal.

« Un socle qui nous représente, nous, tous les activistes qui essaient tant bien que mal de décoloniser la Belgique, poursuit-elle. Nous en tant que lumière qui pointe l’omniprésence fantomatique de ce roi, encore aujourd’hui ». Monumentale et proprement renversante, l’œuvre n’a pas encore trouvé le lieu rêvé pour être exposée. Ce qui ne saurait tarder.

RFI

Merci à PierreTerrail

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