Emmanuel Macron veut une réforme de l’audiovisuel public. Ce projet pourrait créer une holding rassemblant toutes les entreprises, ce qui renforcerait la mainmise du pouvoir. Le chef de l’État se méfie des journalistes et va jusqu’à s’afficher avec Cyril Hanouna, sanctionné pour homophobie et sexisme.
(…) Emmanuel Macron leur a-t-il bel et bien confié qu’à ses yeux l’audiovisuel public était « la honte de la République »(…)
Car quand bien même Emmanuel Macron aurait prononcé ces mots qui ont indigné beaucoup de journalistes de France Télévisions ou de Radio France (voir ici la réaction du SNJ de Radio France), le compliment pourrait lui être retourné. Si « honte » il y a, elle peut être imputée à de nombreux acteurs. Au PDG de Radio France, Mathieu Gallet, comme à la dirigeante de France Télévisions, Delphine Ernotte ; au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Olivier Schrameck, et aux membres de cette instance, qui ont installé ces deux PDG dans leur fonction et qui sont à l’origine de ce désastre de l’audiovisuel public ; à la haute fonction publique de Bercy, qui ne s’est jamais intéressée au dossier de l’audiovisuel public autrement que pour lui faire rendre gorge, et l’étrangler financièrement ; mais tout autant au chef de l’État, qui a apporté de nombreuses preuves – pas plus tard encore que dimanche 17 décembre, lors de son entretien tout en connivence sur France 2 avec Laurent Delahousse –, qu’il entendait maintenir l’insupportable lien de subordination que le pouvoir présidentialiste a toujours fait peser depuis les débuts de la Ve République sur l’audiovisuel public, au mépris des droits des citoyens à disposer d’une information libre et honnête, cette relation de servitude qui déshonore le journalisme et anémie notre démocratie
(…)Lors de ce même entretien sur France 2, le 17 décembre, il a en effet évoqué un possible « big-bang » pour le début de 2018 : il a annoncé le lancement imminent d’un grand travail de réflexion autour de l’audiovisuel public « structuré dans son architecture sur le monde d’avant ». C’est, « pour l’État, de très loin le premier budget de la culture » ; « il y a de l’argent mais est-ce qu’on le met au bon endroit et, surtout, est-ce l’organisation collective la plus pertinente ? », a-t-il déclaré.
En réalité, l’audiovisuel public soulève une cascade de questions : pourquoi se porte-t-il si mal ? Que prépare secrètement la puissance publique ? Et quels devraient être les ressorts d’une refondation démocratique de l’audiovisuel public ?
1.Le bilan calamiteux de Delphine Ernotte
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Les ménages de Michel Field
Or, par la suite, Delphine Ernotte n’a effectivement rien fait pour faire oublier cette tache originelle. Elle a, au contraire, multiplié les faux pas. Elle s’y est pris de telle manière qu’elle est même paradoxalement parvenue à faire oublier – ou du moins à reléguer au second plan – le bilan tout aussi désastreux de son homologue de Radio France, Mathieu Gallet qui, par sa politique d’austérité, son arrogance ou sa folie des grandeurs, est parvenu à la même époque à dresser toute la Maison ronde contre lui, dans une longue grève qui a marqué les esprits.
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Puis, c’est un autre choix qui a ébranlé France Télévisions, celui de Michel Field, (…)
De 2005 à 2007, il a par exemple présenté l’émission « Politiquement Show » sur LCI, avec Patrick Buisson (…)
Dans le passé, on l’a aussi vu animer des meetings de l’UMP (l’ancêtre du parti Les Républicains), ou même des spots publicitaires, par exemple au profit du géant de la grande distribution Casino (voir la vidéo ci-dessous), ce que prohibent formellement toutes les chartes déontologiques des journalistes (voir par exemple l’article 9 de la charte la plus connue, celle de Munich).
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Nouvelle polémique à peine quelques semaines plus tard : dans l’insupportable logique présidentialiste, qui fait du chef de l’État le véritable patron de France Télévisions, sinon même le rédacteur en chef des émissions les plus importantes, France 2 est sommé d’organiser une émission spéciale « Dialogues citoyens », construite tout exprès pour redorer le blason d’un président de la République de plus en plus discrédité. Et cette émission de complaisance au profit de François Hollande, c’est encore une fois Michel Field qui en est la principale cheville ouvrière. Résultat de ces faux pas : une première motion de défiance est ratifiée par 65 % des votants contre Michel Field, que Delphine Ernotte décide pourtant de maintenir à son poste.
À l’époque, tout continue donc de travers. Avec, en bout de course, une nouvelle crise ouverte, qui éclate en septembre 2016, quand Michel Field décide de déprogrammer une enquête sur l’affaire Bygmalion que la journaliste Élise Lucet doit présenter dans le cadre de l’émission « Envoyé spécial » sur France 2. Motif invoqué par le directeur de l’info de France Télé : en pleine campagne des primaires des Républicains, l’audiovisuel public ne peut pas se permettre de faire des révélations embarrassantes sur l’un des candidats, en l’occurrence Nicolas Sarkozy. L’affaire tourne à l’esclandre public, car la journaliste fait, elle, valoir que le droit à l’information des téléspectateurs ne saurait être dépendant des agendas ou des intérêts de dirigeants politiques, quels qu’ils soient.
(…)Car au lieu de tirer enfin les enseignements de toutes ces turbulences dont elle est la première responsable, Delphine Ernotte continue par la suite à vouloir remettre au pas les journalistes de France Télévisions. Et puisque la manière confuse et complaisante de Michel Field n’est plus possible, elle opte à l’automne 2017 pour la voie austéritaire.
Dans le cadre du plan d’économie de 50 millions d’euros que le gouvernement lui a demandé de mettre au point pour 2018, elle fait en effet vite comprendre que les deux émissions phares de France 2, « Envoyé spécial » et « Complément d’enquête », paieront un lourd tribut.(…) Autant dire que les deux émissions sont condamnées.
Les règles mortifères d’une monarchie (assez peu) républicaine
Du coup, c’est à nouveau la colère qui monte dans la rédaction.(…)
2.Le mépris pour l’information libre
Le constat qui saute aux yeux est que l’information est le cadet des soucis des responsables publics – la bonne information est visiblement celle qui est sous tutelle – et que les questions de gestion et d’économies budgétaires sont les seules qui comptent.
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On en a vu, plus haut, une première indication : l’un comme l’autre ont fait en sorte que des émissions sur mesure leur soient consacrées : il y a donc eu (entre autres…) le 14 avril 2016 cette émission « Dialogues citoyens», toute en connivence, organisée par France 2, pour François Hollande ; et, sur le même modèle flagorneur, il y a eu le 17 décembre dernier cet entretien, également sur France 2, avec Emmanuel Macron, conduit par Laurent Delahousse (…)
Résumons. Le 4 décembre, devant des députés, Emmanuel Macron stigmatise l’audiovisuel public, qu’il présente comme « la honte de la République ». Selon L’Express, il fustige « la mauvaise gestion, le gaspillage, la médiocrité des programmes et des contenus, les relations malsaines entre l’audiovisuel et ses partenaires extérieurs (animateurs, producteurs, etc.) » Et à peine quelques jours plus tard, le 21 décembre, le même Emmanuel Macron s’affiche avec cet animateur [NdFDS: Hanouna) sanctionné pour homophobie et sexisme.
Autre exemple : le chef de l’État a accordé un entretien stupéfiant de connivence au pure player Konbini.fr, lors de son déplacement le 23 décembre, lors de la soirée de Noël organisée à Niamey avec les soldats français engagés au Niger.(…)
3. L’austérité pour seul horizon
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Les colères des personnels contre les projets de fusion
Et le syndicat ajoute : « Quoi qu’on pense de la motion de défiance [contre Delphine Ernotte], elle met en lumière une crise de France Télévisions qui remonte à loin. Le premier choc historique est la décision de Nicolas Sarkozy de supprimer la pub en 2008 sans compensation dynamique et pérenne. L’entreprise ne s’est jamais remise de cette fragilisation de son modèle économique. Cette politique de déstabilisation s’est poursuivie avec le gouvernement Hollande. (…)
À la crise de l’information vient donc se cumuler une crise budgétaire, organisée par le pouvoir, avec à la clef des suppressions de postes, des regroupements et fusions de rédactions. Et ce qui est vrai à France Télévisions l’est tout autant à Radio France. (…)
« On démonte Radio France brique par brique » : la formule, qui pourrait tout autant s’appliquer à France Télévisions, résume de fait parfaitement le souhait de la puissance publique, relayée par les deux PDG des deux entreprises publiques. À un détail près, qui est décisif : c’est que dans le même temps, dans ce vaste projet de démantèlement ou de reprise en main – on ne sait pas bien comment le qualifier –, l’Élysée a vraisemblablement le projet de créer une structure de tête, qui vienne à l’avenir chapeauter l’ensemble du secteur de l’audiovisuel public. (…)
De quoi conduire au plus près la politique d’austérité voulue par le pouvoir et renforcer la tutelle de la puissance publique sur des entreprises réputées pourtant indépendantes. Au risque d’aggraver encore un peu plus toutes les dérives que nous venons d’évoquer…
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4. La crise éthique dont personne ne parle
À toutes les crises que traverse l’audiovisuel public sans doute faut-il en ajouter encore une autre, dont on parle moins, voir pas du tout, mais qu’il faut aussi prendre en compte : la crise éthique. Pendant longtemps, l’audiovisuel public a été conçu comme un lieu sanctuarisé où certaines dérives, constatées dans le secteur privé, n’avaient pas leur place : la porosité, par exemple, avec les idées racistes ou xénophobes, véhiculées par l’extrême droite. Et puis, progressivement, la porosité s’est installée…
Donner aux rédactions des droits moraux
Un premier exemple, celui d’Éric Zemmour (…)
(…)d’Alain Finkielkraut(…)
5. Les pistes d’une véritable refondation
Ce qu’il y a de très inquiétant dans la politique conduite par le gouvernement sous l’impulsion de l’Élysée, c’est que le pouvoir veut préparer une révolution de l’audiovisuel public, mais sans tenir le moindre compte des pistes innombrables de refondation qui sont en débat, notamment dans les milieux attachés à l’indépendance de la presse. En somme, c’est une réforme radicale et autoritaire qui est en préparation.
Car des pistes nombreuses existent, en effet, tout particulièrement pour refonder l’audiovisuel public.
Une première piste : les deux principaux syndicats de journalistes, le SNJ et le SNJ-CGT, comme de nombreuses Sociétés de journalistes (SDJ), défendent de longue date l’idée que les rédactions devraient enfin disposer d’un statut juridique, leur conférant des droits moraux. En clair, le droit, garanti par la loi, de pouvoir approuver par un vote le choix du directeur de leur rédaction, proposé par les actionnaires ; et puis le droit aussi de révoquer ce même directeur de la rédaction, en cas de faute commise par lui, mettant en cause le droit de savoir des citoyens.
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Dans le même esprit, toujours pour couper le cordon entre le pouvoir et l’audiovisuel public, il serait tout aussi urgent de revoir la procédure de nomination des PDG des entreprises publiques concernées.(…)
Cette refondation de l’audiovisuel public devrait-elle aller encore au-delà ? Force est de constater que la privatisation de TF1 en 1987 – qui a été menée à bien au prétexte que les nouveaux actionnaires veilleraient sous peine de sanction à respecter la règle… du mieux-disant culturel ! – a dynamité tout le secteur audiovisuel, et a eu pour effet que les règles de l’audimat et de l’audience se sont imposées à la plupart des acteurs du secteur, privés comme publics, au mépris dès règles de la pertinence et de la qualité.
Pis que cela ! La puissance publique a continué à offrir gratuitement des fréquences audiovisuelles à des acteurs privés – fréquences qui sont des ressources rares et des biens publics –, sans jamais user de la sanction ultime que devrait être le retrait de fréquence, en cas de manquements graves. C’est grâce à cette tolérance que Vincent Bolloré a pu faire violence aux rédactions de Canal+ ou de I-Télé (rebaptisée CNews), ou que Pascal Houzelot a pu faire fortune avec sa chaîne Numéro 23. Dans l’équilibre public/privé, comme dans les règles qui encadrent l’audiovisuel, un gouvernement progressiste pourrait donc être autrement audacieux.
(…)
Mais pourquoi l’audiovisuel public échapperait-il à cette grande ambition républicaine ? C’est précisément pour cela, à l’origine, qu’il a été conçu : pour qu’il existe au moins un lieu à l’abri des puissances d’argent, un lieu sanctuarisé. Pour l’instant, on en est bien loin. Emmanuel Macron semble même vouloir aller dans le sens exactement opposé…