Auteur du « Petit Terroriste » dans lequel il raconte son enfance salafiste, Omar Youssef Souleimane défend la liberté de critiquer la religion. Entretien.
Comme dans le célèbre poème de Paul Éluard qu’il vénère, Omar Youssef Souleimane a par le pouvoir d’un mot, « liberté », recommencé sa vie. Traqué par les services de renseignements syriens après avoir participé au Printemps arabe, ce jeune poète a fui Homs en 2012. Exilé, le trentenaire réside désormais en région parisienne. (…)
Vos parents ont fait de longues études, cela ne correspond pas vraiment à l’image que l’on se fait du salafisme en France…
En France, le salafisme reste effectivement attaché à des gens qui n’ont pas ou peu de diplômes. Mais les salafistes arabes ont souvent étudié à l’université, car l’islam dit qu’il faut étudier. Ils vivent dans un certain confort et voyagent dans le monde entier…, ce qui ne les empêche d’ailleurs pas de penser qu’il faut frapper les femmes pour plaire à Dieu.
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Comment avez-vous vécu le 11 septembre 2001 en Arabie saoudite ?
Je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais à l’école. Tous les profs ont arrêté leur cours et se sont mis à nous parler des vertus d’Al-Qaïda ! Notre professeur de monothéisme parlait de miracle. Nous avons célébré ce qu’il décrivait comme « la victoire du monde musulman contre l’Amérique ». Nous rêvions tous de djihad !
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Aucun dictateur du monde arabe n’a jamais été sincèrement laïque, tous ont utilisé la religion en sous-main
Le christianisme a lui aussi servi de caution à bien des dictatures…
Oui, mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit se partagent l’influence ! Allah ne partage rien avec personne.
Vous dites islam et non pas islamiste. C’est volontaire ?
Totalement, car il faut être très clair : il n’existe pas de différence entre l’islam et les islamistes. Le djihad, les violences, les interdits…, tout cela s’appuie sur des versets du Coran qui disent très clairement qu’il faut faire triompher l’islam jusqu’à la fin du monde.
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À 15 ans, vous faites le pèlerinage à La Mecque avec votre père…
Au lieu de me conforter dans ma foi, ce pèlerinage a eu pour moi l’effet inverse. Je pensais que le diable était à l’intérieur de moi et que La Mecque allait m’en débarrasser. Mais en voyant la Kaaba, je me suis demandé pourquoi on avait payé 10 000 dollars pour tourner comme ça autour d’une pierre. Pourquoi Mahomet aurait-il gardé un fétiche païen, lieu de culte des idoles, alors que nous sommes monothéistes ? Sommes-nous fous ? Mais le moment qui fut le plus dur pour moi a été la montée du mont Arafat, qui est censée être l’étape, le moment où on est le plus proche de Dieu. Là-bas, je n’ai cessé de me poser des questions alors même que je demandais à Allah de me permettre d’étudier l’architecture et l’aéronautique afin de devenir djihadiste. J’étais devenu schizophrène. J’ai alors décidé de tout faire pour me sortir de là.
Malheureusement, dans le monde arabe, nous n’avons pas su apporter une autre culture que l’islam. C’est à travers la religion que s’exprime l’identité
Comment votre athéisme est-il perçu par vos proches ?
Après l’Arabie saoudite, quand je suis rentré avec ma famille en Syrie, je n’ai pas fait part de mes doutes, j’ai continué dans mon monde secret. C’est un point très important : depuis que je suis petit, j’ai sans cesse eu un monde secret, car on n’avait pas le droit d’exprimer ce que l’on ressent. Ce n’est qu’à 20 ans que j’ai fait part de mes convictions à ma mère : « Je ne fais pas le ramadan, je ne prie pas et je bois. » Ça a été un choc, mais elle a fini par accepter. En revanche, mon père m’a chassé de la maison, comme tous mes oncles. Quand je revenais au village en Syrie, avec mon père, on se saluait, on buvait un café, mais il n’y avait plus aucune relation forte. Après ma fuite de Syrie, en France, j’ai donné une interview à la radio en arabe, expliquant que j’étais athée. Dans ma famille, ils ont entendu ça. Ils ont alors organisé une grande réunion pour dire « Omar n’est plus notre fils ». C’était une répudiation officielle. Je suis aujourd’hui un bâtard, mais ça me va. Je considère cela comme un impôt pour la liberté. Il faut toujours payer quelque chose pour gagner sa liberté.
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Avez-vous des échanges avec des musulmans français ? Et avez-vous envie de « convertir » des gens à l’athéisme ?
Bien sûr. Déjà en Syrie, j’ai eu plein de débats autour du Coran. Malheureusement, il est impossible d’échanger là-dessus avec certains – je ne dis pas tous – musulmans en France, car ils sont très croyants, radicaux. Alors que j’étais dans une épicerie parisienne, j’ai entendu le propriétaire – qui ignorait que je parlais sa langue – déclarer que « l’avenir de la France, c’est un État islamiste »… Je ne raconte pas ça dans le livre pour dire que tous les musulmans sont des djihadistes, mais pour montrer à quel niveau ça peut aller. C’est ridicule, mais ça existe. Je pense qu’en quittant leurs pays et le monde arabe, ces gens ressentent de la violence contre eux. En France, ce n’est pas leur territoire, leur culture, ils se sentent étrangers et radicalisent leur croyance pour dire qu’ils existent. Malheureusement, dans le monde arabe, nous n’avons pas su apporter une autre culture que l’islam. C’est à travers la religion que s’exprime l’identité. Je précise bien sûr que je ne suis pas contre les musulmans, mais contre l’islam. Les musulmans ne sont pas le problème, c’est le texte coranique qui produit sans cesse des dégâts. Dans le monde musulman, depuis très longtemps, on se considère vraiment comme les meilleurs, les rois du monde. Nous détenons la vérité, et les autres iront en enfer. C’est Allah qui dit ça, pas moi ! Cela a été un facteur de grandes violences, avec cette idée qu’à la fin, le monde sera musulman. Jusqu’à aujourd’hui, des millions de personnes pensent qu’un califat va sauver ce monde. C’est triste, car ils vivent dans une illusion.
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Votre point de vue sur l’opposition entre une gauche laïque et une autre plus multiculturelle qui considère les musulmans comme des opprimés ?
Je ne me considère d’aucun camp politique. J’ai des idées à gauche, d’autres à droite. Hélas, aujourd’hui, quand on se dit contre le texte coranique, on est rangé à l’extrême droite. Mais on peut être à la fois contre la religion et contre l’extrême droite ! Et je ne comprends toujours pas pourquoi il y a souvent un mariage secret entre la gauche et les islamistes. Cette gauche qui, parce qu’elle est contre Israël et l’impérialisme américain, soutient le Hamas ou l’Iran. Elle a ainsi aidé Khomeiny quand il était à Paris, ce qui était parfaitement ridicule, car dès qu’il a pris le pouvoir en Iran, il a massacré les communistes. Cette gauche doit vraiment avoir un côté maso.
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Vous fustigez aussi les discours qui reportent toutes les fautes sur le colonialisme de l’Occident…
Hélas, dans le monde arabe, il n’y a pas de discours très clair pour rappeler que nous aussi avons été des colonialistes, que nous avons occupé d’autres pays. Nous avons tué beaucoup de monde pour diffuser la « meilleure religion ». (…)