Dans sa chronique, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », note que depuis le tsunami Weinstein le regard sur la culture a changé, se déplaçant de la création vers son créateur.
Pour 2018, demandons l’impossible. Que les artistes dérangent et que le public réagisse, mais que les deux camps débattent. Vœux illusoires, tant les vents sont contraires. Ce qui tourne à plein régime, ce n’est plus la création, ce sont les diktats.
En décembre 2017, une pétition demandait que le Metropolitan Museum of Art de New York retire de ses murs un tableau de Balthus, Thérèse rêvant (1938), où l’on voit une gamine montrant sa culotte – le musée a tenu bon. Le même mois, plusieurs affiches de nus du peintre Egon Schiele apparaissaient à Londres et en Allemagne pour annoncer une exposition à Vienne en 2018 ; mais avec le sexe masqué d’un carré blanc où on pouvait lire : « Désolé, cent ans mais toujours aussi scandaleux aujourd’hui. »
Cent ans ? Oui et non. Des dizaines d’œuvres, anciennes comme contemporaines, ont fait depuis des lustres l’objet de scandales et de censures. Mais les nus de Balthus et de Schiele résonnent avec deux éléments nouveaux.
Le premier est large : vivre dans un monde toujours plus multiculturel devrait ouvrir les esprits, et c’est le contraire qui se produit – chaque communauté agressée par une œuvre appelle au boycottage ou à la censure. Et puis il y a le tsunami Harvey Weinstein. Depuis que le scandale a éclaté, le regard sur la culture a changé, il s’est déplacé de la création à son créateur, amplifié par les réseaux sociaux : toute œuvre, outre qu’elle est disqualifiée si son auteur n’est pas irréprochable, a perdu de son aura pour devenir un produit de consommation comme un autre.
La conséquence la plus commentée est celle de l’« effacement » de créateurs-harceleurs, au nom de la morale dit-on, du commerce surtout, ce que notre confrère Jacques Mandelbaum, dans Le Monde du 27 décembre 2017, qualifie de « tentation hygiéniste ». […]