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(….) Lorsque le conseiller municipal socialiste Stéphane Troussel propose de convier les militantes de Ni putes ni soumises, l’association féministe fondée en2003 par Fadela Amara, pour protester contre les violences faites aux femmes dans les quartiers, Rokhaya refuse. «J’avais le sentiment qu’elles nous disaient de nous couper de nos valeurs familiales, affirme-t-elle aujourd’hui. Et puis, elles ne représentaient rien dans les banlieues.»Elle préfère bien plus leurs adversaires déclarées, Les Blédardes, un mouvement lancé par Houria Bouteldja, une Algérienne de 32ans venue suivre des études d’anglais et d’arabe àLyon, qui voit dans l’interdiction du port du voile une «pratique néocoloniale» et même «une nouvelle affaire Dreyfus».

Lorsqu’en janvier2005 Bouteldja lance l’appel des Indigènes de la République, Rokhaya Diallo est parmi les signataires. Enjuin, le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, qui revient à LaCourneuve dixjours après une première visite où il a promis de «nettoyer» la cité des 4000 «au Kärcher», demande à rencontrer les animateurs du conseil local de la jeunesse. La petite bande refuse crânement.

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Avec les Indigènes, Rokhaya Diallo s’est mise à lire toute la littérature «postcoloniale» qui commence à fleurir dans les universités francophones et anglo-saxonnes. Femme, noire, jeune, elle découvre aussi l’«intersectionnalité», ce concept forgé par l’universitaire américaine Kimberlé Crenshaw pour désigner la situation de personnes subissant plusieurs formes de domination ou de discrimination simultanément.

(…) Formidable passeport pour pénétrer l’élite moderne La voilà enfin «visible». Les «scout talent» de Canal+ ont repéré en cette vive et jolie jeune femme un des visages de la «diversité», comme on dit à la télé, et elle est devenue chroniqueuse de la matinale. RTL l’a aussi recrutée, comme La Chaîne parlementaire. Thierry Ardisson l’invite sur ses plateaux. On l’interroge pour les journaux télévisés. «S’il y avait eu vingt-cinq jeunes femmes noires comme elle, vous ne l’auriez même pas remarquée, mais elle est presque la seule», note l’historien du fait colonial Pascal Blanchard, qui lance alors avec elle, Lilian Thuram, l’historien spécialiste des diversités culturelles François Durpaire et Marc Cheb Sun, créateur de Respect Mag, «Cent propositions pour une République multiculturelle et post-raciale».

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Seul un petit nombre remarque en2011, alors que Charlie Hebdo fait l’objet de menaces à la suite de la publication de caricatures de Mahomet et que ses locaux ont été incendiés par un cocktail Molotov, que la présidente des Indivisibles a signé, aux côtés d’Houria Bouteldja une pétition «contre le soutien à “Charlie”». Le texte, rédigé par deux universitaires «pro-voile» venus de l’extrême gauche, Pierre Tevanian et Sylvie Tissot, est d’une rare violence: accusant Charlie de participer «en publiant des articles ou des dessins antimusulmans, à la confusion générale, à la sarkozysation et à la lepénisation des esprits», il affirme qu’il «n’y a pas lieu de s’apitoyer sur les journalistes de Charlie Hebdo, les dégâts matériels seront pris en charge par leur assurance».

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Aujourd’hui encore, elle tente de concilier tous ces mondes. On évoque devant elle le dernier livre d’Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous; un salmigondis dans lequel la fondatrice des Indigènes de la République écrit qu’on «ne reconnaît pas un juif parce qu’il se déclare juif mais à sa soif de vouloir se fondre dans la blanchité», fustige les mariages mixtes et l’homosexualité ou explique que «si une femme noire est violée par un Noir, c’est compréhensible qu’elle ne porte pas plainte pour protéger la communauté noire».

«Je ne l’ai pas lu», répond avec légèreté Rokhaya Diallo, refusant d’émettre une seule critique tout en se tenant à distance de ses thèses racialistes. «Quand on est racisés, on n’attaque pas les nôtres», glisse en guise d’explication une de ses amies. Certains l’ont alertée, cependant. «Comment peux-tu digérer la bouillie des Indigènes? Ils mélangent tout au nom des héritages du passé colonial. Toi qui revendiques le vivre-ensemble, ils en sont l’antithèse», lui lance un jour l’historien Pascal Blanchard. Elle ne renie rien. S’éloigne, revient. Touche à la bande dessinée, au documentaire, à la télévision, use de son talent et de sa créativité. «C’est une véritable professionnelle du divertissement, très pro, sans trop d’ego», assure Thierry Cammas, le patron de la chaîne Bet, qui diffuse en France la culture noire américaine et où elle présente chaque semaine un magazine d’une demi-heure.

(…) Le Monde

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