Après l’agression de trois d’entre eux par un détenu de Vendin-le-Vieil, les surveillants de prison se révoltent.
« Avant, chaque matin, j’avais peur de trouver un gars pendu dans sa cellule. Vous savez ce que je redoute aujourd’hui ? Qu’on m’égorge, qu’on me décapite, qu’on me plante une lame dans le dos. Au nom de l’islam et de Daech. Tous les jours, en allant travailler, j’ai cette peur qui me bouffe le ventre. » Bernard n’est pas le seul, jure-t-il, à craindre pour sa vie. « A l’intérieur [le mot pudique pour dire prison], l’état de guerre… c’est puissance dix. » Alors ils sont de plus en plus nombreux à démissionner, parfois après dix ou douze ans d’ancienneté. Malgré les affiches qui fleurissent dans les couloirs du métro – « Fier de servir la justice » au-dessus du portrait d’un surveillant au regard aussi bleu que son uniforme –, l’administration peine à recruter, et près de 40 % des admis renonceraient au terme de la première année.
En prison, « imposer sa loi » se dit « tenir la taule ». C’est le secret de la tranquillité, mais ça demande de la puissance. Les Corses ont longtemps dominé la cour, comme on le voit dans « Un prophète » d’Audiard, mais les fondamentalistes les ont détrônés. « Les uns et les autres appliquent la même technique de “pêche” », raconte un officier du renseignement. « Les radicaux dealent le shit quatre fois plus cher “à l’intérieur” que dehors. Leur profit ? Jusqu’à 10 000 euros par mois. Ce qui leur permet d’accumuler les appareils électroniques, la nourriture, les produits d’hygiène. Ils offrent leur butin aux plus vulnérables, aux détenus fragiles, isolés, qui leur deviennent redevables, et le piège se referme. »
Kader, un minot marseillais, petit et maigre, n’est libre que depuis quelques semaines. Il était tombé pour vols et deal de shit. Quand il me parle, sa jambe s’agite de soubresauts nerveux. « En prison, il faut survivre. Ça veut dire dormir sereinement, manger à sa faim. Pour ça, tu dois te rapprocher d’un camp. Sinon, au mieux, tu souffres. Au pire, tu crèves. Quand j’ai été incarcéré aux Baumettes [il baisse soudain la voix comme s’il avait peur qu’on l’entende], les barbus m’ont offert protection et téléphone portable… contre les cinq prières par jour. Je n’étais pas pratiquant, mais j’ai obéi. J’ai lu leur Coran, porté la djellaba, arrêté la musique dans la cellule, pris ma douche en caleçon. J’avais une vie pieuse, parce que c’était le seul moyen d’avoir la paix. On fait tous pareil, même les catholiques ! Un jour, ils m’ont demandé si j’étais prêt à faire le djihad. Ils disaient qu’ils pouvaient m’aider à organiser une action violente à l’extérieur. Ou à l’intérieur… »
[…] Paris MatchMerci à david