Dans de nombreux établissements scolaires, la montée des violences rend la situation intenable pour les enseignants. À Toulouse, certains ont même lancé un appel au secours à l’intention du ministre… qui ferait bien de prendre au sérieux leur détresse.
À quelques jours de l’annonce par le ministre de l’Éducation nationale de la réforme du baccalauréat, «urgence» toute relative sur laquelle il y aurait beaucoup à dire – ce qui viendra en son heure – il est intéressant de relever la discrétion de nos autorités sur la question sécuritaire dans les établissements scolaires. Et plus singulièrement dans certains collèges et lycées qui sont en train de devenir des zones de non-droit à l’image des quartiers où ils sont implantés ou qui se trouvent à proximité. Ne soyons pas naïfs, la communication politique a son agenda. Et comme l’heure est à la bienveillance et à la pacification générale, on assiste sur la question des violences à l’école – comme sur tous les sujets épineux – au déplacement du débat intellectuel, consistant à délibérer collectivement pour distinguer le vrai du faux, sur le terrain du débat moral qui, lui, invoque les valeurs du bien et du mal pour poser la digue entre ce qu’il est autorisé ou non de dire publiquement sur le réel.
Le dévoilement de la vérité, qui est déjà un périlleux exercice intellectuel et philosophique, n’a plus lieu d’être avec cette moralisation généralisée du débat d’idées. Ainsi, l’enseignant de terrain qui oserait, en vertu de l’ordre pratique des choses, témoigner de l’extrême violence qui règne dans certains établissements mettant en jeu non seulement les enseignements mais aussi la possibilité pour personnels et élèves d’être en sécurité dans l’école, se voit-il renvoyé dans le camp du mal et des pompiers pyromanes qui veulent faire prendre des «faits divers» pour la réalité.
Quand le réel explose le mur du silence, le ministre est contraint de s’exprimer. Il l’a fait sur la situation du lycée Gallieni de Toulouse où règne depuis des mois un climat pire que délétère, au point que les enseignants ont lancé un cri d’alarme collectif dans la presse pour exprimer leur désarroi et leur sentiment d’abandon. Rien de neuf dans les faits de violence décrits, sinon qu’ils ont atteint dans cet établissement le seuil du tolérable. On imagine aisément qu’ils ont dû en voir des vertes et des pas mûres depuis des années pour en arriver à la situation qu’ils décrivent. Le résultat du laisser-faire / laisser dire (parce qu’avec «ces jeunes-là», il faut faire preuve de compassion, rien de ce qui est dit ou fait n’est le signe de quelque chose de tangible).
Acheter la paix sociale, jour après jour, petite démission après petite démission au nom de la «tolérance», tout en rêvant à des jours meilleurs. S’étonner que la trêve soit si vite rompue malgré les belles promesses des belligérants. Non, rien de neuf. En 2002, dans les Territoires perdus de la République, nous décrivions déjà cet abandon qui a été culturel avant d’être sécuritaire. Depuis des années, la «bienveillance» est de mise à l’égard de ces «jeunes» supposément victimes de tous les maux de notre société tenue pour seule responsable des passages à l’acte et des violences verbales inacceptables de ces élèves envers les enseignants, envers leurs camarades qui veulent travailler, envers les filles qui osent encore s’habiller comme elles veulent.
Le ministre a suggéré que la direction du lycée comme la chaîne hiérarchique (entendait-il par là l’inspection académique voire le rectorat?) avaient fait preuve de «laxisme», dont acte. Les enseignants récusent l’envoi d’une équipe de direction expérimentée car ils réclament «de la mixité sociale». On ignorait que le ministre thaumaturge pouvait décréter la «mixité sociale». Vu l’état de fracturation sociale et culturelle de la France, que la politique de la ministre précédente n’a fait qu’aggraver par des mesures purement idéologiques, on lui souhaite bien du courage pour satisfaire ne serait-ce que les profs de ce lycée toulousain. Le dialogue de sourd recommence donc. Quelle mixité sociale peut-il y avoir dans un établissement qui prépare aux métiers de l’automobile dans le contexte économique mondialisé actuel? Soit ces enseignants (ou les représentants syndicaux qui parlent à leur place) sont de doux rêveurs pensant qu’il est fréquent qu’un fils de médecin ou de cadre supérieur envisage de devenir mécanicien automobile ou carrossier (combien d’entre eux d’ailleurs conseilleraient cette formation à leur propre enfant dans ce même lycée?), soit ils sont à court d’arguments pour expliquer la violence qui règne dans leur lycée.
J’opte plutôt pour la seconde proposition car je connais le déni du réel dans une partie du corps enseignant qui, même au milieu du désastre, viendra vous expliquer que «c’est la faute de la société, des ghettos urbains, de la famille monoparentale, des discriminations, des bus qui ne passent plus dans le quartier, de la supérette qui a fermé, etc.» Le lamento habituel de la sociologie déterministe si influente depuis trente ans pour expliquer toutes les désintégrations sociales et culturelles par une vulgate néo-marxiste mâtinée parfois d’indigénisme postcolonial. En effet, il ne faut pas sous-estimer la force de l’argumentaire sur «l’École de la République, haut lieu du racisme d’État» diffusé par des enseignants eux-mêmes comme en avait témoigné le stage Sud Éducation 93 de décembre dernier. À aucun moment, ces défenseurs de «la violence impunie» ne prennent la peine d’interroger tous ceux qui vivent la même situation sociale et ont fait le choix de l’éducation, de l’école, du respect de la loi commune, de l’insertion citoyenne par l’acceptation du modèle culturel français, fruit d’un héritage historique qui les précède.
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