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FIGAROVOX/CHRONIQUE – Aude Lancelin signe un pamphlet pour la liberté de la presse menacée selon elle par la mainmise des patrons du CAC 40. Un nouvel épisode de la guerre des deux gauches irréconciliables.

(…) Aude Lancelin a longtemps été une journaliste réputée et redoutée des pages culturelles (il faut dire désormais «vie des idées») de Marianne et du Nouvel Observateur. Elle a été chassée de ce dernier dans des circonstances tumultueuses, et apparemment douloureuses, dont elle a fait la matière de son précédent livre. Elle a tiré de sa mésaventure des leçons générales pour la profession. Sa thèse est simple, sinon simpliste: tout le mal vient de la conquête des médias par les grands patrons, qu’ils s’appellent Bolloré, Drahi, Dassault, Niel, Berger, ou Bouygues. Cette presse du CAC 40 imposerait son idéologie libérale à l’opinion, grâce à la servilité de journalistes ineptes, pleutres, ou passés à droite. À ses yeux, les journalistes de gauche sont une poignée d’ultimes résistants, noyés dans un océan droitier. Ils sont au Monde diplomatique ou à Mediapart. Tous les autres sont des imbéciles ou des traîtres, ou des salauds vendus au grand capital.

Cette diatribe enflammée, et souvent grandiloquente, a le mérite de nous rajeunir. Elle nous rappelle les attaques communistes des années 1950 et 1960 contre la presse «bourgeoise». Les critiques de L’Humanité contre les sociaux-traitres. Sempiternelle guerre des deux gauches où l’on n’est jamais assez à gauche. Aude Lancelin est du côté de La France insoumise contre le Parti socialiste. Elle défend Mélenchon contre les attaques venues de Libération.

Tout n’est pas faux dans le diagnostic que pose notre procureur. La prolétarisation économique, sociale, mais aussi culturelle, des jeunes journalistes. Le ridicule du «fast-checking compulsif», ce contrôle des vérités et des contre-vérités, devenu le nec plus ultra des journaux en mal de crédibilité: «La presse est-elle née pour servir de garde-barrière aux petits faits exacts, ou bien parce que des gens avaient des combats à mener?» Aude Lancelin n’a pas tort lorsqu’elle explique que les grands patrons du CAC 40 achètent des médias pour renforcer leur influence sur les politiques et l’État. Pas tort lorsqu’elle note une certaine pusillanimité de ces rédactions lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les activités de leur patron!

Mais ce ne sont pas les grands patrons du CAC 40 qui ont inventé la baisse du nombre de lecteurs, la concurrence ancienne de la télévision, la rivalité nouvelle avec les médias alternatifs sur Internet. La vérité est cruelle: sans les subventions d’État et l’argent des grands patrons, la presse écrite d’opinion serait morte.
Notre auteur a cependant raison lorsqu’elle relève la quasi-unanimité médiatique en faveur de Macron, lors de la dernière présidentielle. Mais Aude Lancelin s’était-elle scandalisée de l’unanimité médiatique en faveur de Jacques Chirac en 2002, dans son duel avec Jean-Marie Le Pen? Quand elle dénonce la dictature du CAC 40 sur des rédactions apeurées, pourquoi ne l’entend-on pas dénoncer la tyrannie des soviets des rédactions à France Télévisions ou France Inter? Ils sont eux aussi de droite? Un progressisme universaliste, individualiste, cosmopolite, égalitariste, antiraciste est donc de droite?

Notre auteur découvre la lune. C’est depuis 1983 que la gauche politique s’est soumise à l’économie de marché capitaliste ; les médias de gauche n’ont fait que suivre ; parfois, ils l’avaient même précédée: cela ne dérangeait pas Aude Lancelin quand son journal, Le Nouvel Obs, préférait Rocard à Mitterrand, l’alliance des centres à l’union de la gauche. Dans le même temps, la droite se soumettait à la gauche sur les questions de société, féminisme, homosexualité, immigration, assimilation. Pendant que la droite abandonnait la nation et la gauche, le peuple, Aude Lancelin restait coite.

À l’époque, elle était comme tous les journalistes, et élèves-journalistes, qui votent à 80 % pour Jospin (2002), pour Hollande (2012) quand ils ne votent pas à l’extrême gauche, en tout cas jamais pour la droite ou le Front national. Mais tous ces journalistes seraient quand même de droite! Et que dire des campagnes de presse quasi unanimes en faveur des migrants, en faveur du «pas d’amalgame», en faveur de l’islam «religion de paix et d’amour», en faveur du mariage homosexuel, en faveur de la «parole des femmes qui se libère»? Tous ces combats qu’elle a elle-même portés avec une rare virulence étaient donc de droite? Aude Lancelin était alors un valet du capital qui s’ignorait?

«Lorsqu’une presse démocratique verse ouvertement dans la propagande, il n’y a donc aucune raison de ne pas en mener la critique impitoyable.»

Aude Lancelin parle d’or. Mais elle parle d’elle. Profitant de sa position hégémonique dans les pages culturelles du Nouvel Obs, Aude Lancelin, pendant des années, mit à l’index ceux qui pensaient mal et loua sans mesure les gens de son parti. Sectaire, intolérante, dogmatique. Vitupérant ses adversaires, les fascisant à loisir, selon la bonne vieille méthode enseignée par Joseph Staline. Détournant les arguments et ignorant le réel. Versant ouvertement dans une propagande éhontée et sans vergogne.

Aude Lancelin fut Rosa Luxembourg au café de Flore. Elle n’a pas fini noyée dans la Spree, mais éjectée du Nouvel Obs. Alors, notre ancien commissaire politique de la Pravda sur Seine joue désormais à la pasionaria de la liberté de la presse, la Jeanne d’Arc du journalisme qui veut bouter hors de la presse les méchants capitalistes aux doigts crochus. Mais on ne peut endosser l’armure de Jeanne d’Arc quand on a trop longtemps porté la robe de l’évêque Cauchon.

Le Figaro

Merci à valdorf

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