Né à Beyrouth, ce chercheur libano-australien inspiré par Levi-Strauss s’est imposé en 1998 avec un livre sur la suprématie blanche en Australie.
Présentation du livre Le Loup et le Musulman : Dans un monde régi par la domestication, le loup et le musulman apparaissent comme deux grandes figures fantasmatiques menaçant la “civilisation”. Ils ne respectent pas les frontières nationales, qui garantissent le maintien de l’ordre colonial. Pour Hage, le crime écologique et le crime racial reposent sur la même volonté de “gouverner l’ingouvernable”. Parce qu’on ne gouverne ni les âmes, ni le climat, islamophobie et géoingénierie sont deux avatars de la même illusion domesticatrice – aux conséquences également funestes.)
Le discours se déploie dans un français ponctué d’accents beyrouthins et de mouvements des bras qui soulignent la volonté d’être bien compris : le plus souvent, les paumes s’ouvrant vers le ciel – on remarque alors un tatouage sur l’avant-bras gauche, un fragment de phrase impossible à déchiffrer. On lui demanderait bien ce que dit ce tatouage mais ce n’est pas le sujet. Ce jour-là, Ghassan Hage est de passage à Paris pour la sortie de l’un de ses ouvrages, Le Loup et le Musulman (Wildproject, 2017), son premier livre traduit en français. Anthropologue libano-australien qui vit et enseigne à Melbourne, Ghassan Hage est une grande figure intellectuelle en Australie et est considéré, depuis la publication, en 1998, de White Nation, ouvrage devenu un classique, comme un des porte-voix des Whiteness Studies.
Surtout implanté dans les universités anglo-saxonnes et nord-américaines, ce champ d’étude est apparu aux Etats-Unis au tournant des années 1980-1990, comme une sorte de contrepoint aux études centrées sur la question des « races » et des minorités : il a pour objet la construction sociale, culturelle et historique des identités blanches. «Le concept de “race” était jusqu’alors surtout associé aux minorités. Avec les Whiteness Studies, on admet qu’il existe une catégorie “raciale” blanche, le plus souvent privilégiée ou dominante, qu’on étudie en y appliquant une perspective constructiviste», résume la sociologue Mirna Safi. Le livre Wages of Whiteness (Verso, 1991) de l’historien américain David Roediger, souvent cité comme l’un des livres fondateurs des Whiteness Studies, montre, par exemple, comment la classe ouvrière américaine se définit en termes de classe mais aussi comme une catégorie « blanche » par opposition aux Noirs américains. […]
Pourquoi associer le loup au musulman ? Parce que tous deux, explique Hage, sont vus aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif occidental, comme deux grandes figures menaçant la civilisation, aussi « ingouvernables » l’une que l’autre. Le loup, qui resurgit au cœur de nos territoires civilisés et que l’on ne peut ni capturer ni pacifier. Le demandeur d’asile arabe/musulman, qui arrive aux portes de l’Occident et qui, ne pouvant être ni contenu ni intégré, est à son tour qualifié de « loup » métaphorique. […]
Une autre figure contemporaine permet à l’anthropologue de croiser crise écologique et discrimination raciale : le déchet non recyclable. D’où ce rapprochement fulgurant entre la description des agglomérats de plus en plus menaçants de déchets plastiques flottant sur les océans et celle des demandeurs d’asiles flottant sur ces mêmes océans. C’est par le biais de cet imaginaire du réfugié/musulman comme « déchet ingouvernable », écrit Hage, que «l’islamophobie établit un lien clair avec la crise écologique actuelle».