Article de Darío Fernández Morera, professeur à la Northwestern University., sur l’Andalousie muslulmane (2/8).
Le système répressif et marginalisant mis en place par les autorités musulmanes dès leur arrivée dans la péninsule ibérique au VIIIe siècle a favorisé l’islamisation des terres conquises.
Un des traits de ce système était la dhimma, ou contrat de «protection». Il permettait aux dhimmis (chrétiens et juifs qui l’acceptaient) de vivre et de pratiquer leur religion dans des limites strictes – et seulement tant qu’ils acceptaient leur infériorité juridique vis-à-vis des musulmans et leur payaient une taxe de «protection» (jizya). Celle-ci était destinée non seulement à fournir aux conquérants une source régulière de revenus, mais à rappeler aussi aux dhimmis leur statut de soumis.
Telles étaient les lois religieuses (un pléonasme, puisque dans l’islam médiéval, contrairement au christianisme médiéval, toute loi était religieuse) qui plaçaient les dhimmis chrétiens (ils n’étaient pas appelés «mozarabes») dans une condition subalterne, avec pour seule échappatoire la conversion ou la fuite: un musulman ne devait pas être tué s’il tuait un chrétien, tandis qu’un chrétien devait être tué s’il tuait un musulman, même en état de légitime défense ; le témoignage d’un chrétien valait la moitié de celui d’un musulman (il était égal au témoignage d’une musulmane) et n’était pas valide lorsqu’il était porté à l’encontre d’un musulman ; un musulman pouvait épouser jusqu’à quatre femmes dhimmis et leurs enfants devaient être élevés comme musulmans ; a contrario, un homme dhimmi ne pouvait pas épouser une femme musulmane ou même s’en approcher ; un musulman pouvait avoir autant d’esclaves sexuels qu’il pouvait en acheter et en entretenir, y compris des hommes: on ne saurait sous-estimer en effet l’attrait de l’islam médiéval pour les dhimmis bien pourvus en testostérone. Les dhimmis chrétiens subirent enfin plusieurs expulsions massives vers l’Afrique du Nord. Ceux qui y avaient échappé se convertirent. Au XIIe siècle, il ne restait presque plus de chrétiens et leur civilisation avait été détruite bien plus tôt encore.
Les érudits espagnols observent que «l’échange interculturel d’idées et l’élargissement des horizons» entre chrétiens et musulmans désignaient essentiellement, selon les termes de Francisco García Fitz, « une appropriation pratique des connaissances de ceux qui avaient été soumis, n’impliquant pas du tout une reconnaissance de leurs valeurs religieuses ou morales, c’est-à-dire une acceptation positive de l’autre » (Felipe Maíllo Salgado, Acerca de la conquista árabe de Hispania).
On observe ici une différence fondamentale. Contrairement aux Wisigoths, qui s’assimilèrent, par la langue, la religion, les lois, la littérature et la philosophie, à la romanité (examinée en profondeur par Rémi Brague dans Europe, la voie romaine), les conquérants musulmans ne s’assimilèrent pas aux civilisations qui les avaient précédés. Ils s’approprièrent partout leur savoir et leurs techniques pour être en mesure de les remplacer, au moyen d’un certain nombre de coutumes sociales et familiales efficaces, reposant sur une base religieuse, qui bouleversèrent inexorablement la culture et la démographie jusqu’à les faire disparaître. Cela avait été le cas pour la Perse zoroastrienne, l’Empire gréco-romain chrétien au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie Mineure (l’actuelle Turquie), le royaume hindou-bouddhiste du Sind (dans l’actuel Pakistan). C’est ainsi que disparut de même le royaume chrétien wisigoth en Espagne.