FIGAROVOX/TRIBUNE – Notre chroniqueur montréalais, figure de la vie intellectuelle québécoise, analyse les changements du vocabulaire en Amérique du Nord et l’idéologie qui les motive.
La nouvelle a fait le tour du monde: le Canada vient de changer la version anglaise de son hymne national pour le rendre «non genré». La formule «in all thy sons command» s’efface pour faire place à «in all of us command». Officiellement, pour atténuer la portée de ce changement, on laisse croire qu’il s’agit d’un simple retour à la version originelle de l’hymne national, Ô Canada. Mais personne n’est dupe. Ceux qui, depuis des années, militaient pour une réécriture de l’hymne national le faisaient explicitement au nom de la «lutte contre le sexisme». Sans surprise, c’est sous le gouvernement de Justin Trudeau que leur combat vient d’aboutir: le premier ministre canadien vante cette réforme en l’inscrivant sous le signe du combat pour l’égalité entre les sexes.(…)
Le hasard a voulu que dans les jours entourant l’adoption de la nouvelle version du Ô Canada, Trudeau lui-même donne un exemple extrême du politiquement correct. Animant une assemblée citoyenne en Alberta, une province de l’ouest du pays, il a repris une jeune femme à cause de l’utilisation d’un mot jugé suspect. Elle avait utilisé le banal terme «mankind», qui signifie humanité. Le premier ministre s’est empressé de la corriger en disant qu’elle devrait utiliser le terme «peoplekind», parce qu’il serait plus inclusif. La vidéo est devenue virale dans le monde anglo-saxon en suscitant à la fois hilarité cruelle et exaspération bien sentie. Trudeau a même dû chercher à faire croire qu’il s’agissait d’une blague, mais naturellement, personne ne l’a cru.(…)
Dégageons-nous du cas canadien pour réfléchir de façon plus large. Fondamentalement, nous sommes dans une logique qui se veut purificatrice. Ses adeptes se représentent un monde trop blanc, trop masculin, trop occidental, et se donnent pour mission de le déconstruire, ou même de l’anéantir, pour que les groupes historiquement marginalisés soient rendus visibles dans les représentations publiques. Tel est l’enjeu de l’écriture inclusive, qui faisait polémique il y a quelques mois et qui continue de progresser à l’abri de la controverse. En d’autres mots, ce qui reste du monde d’hier est un scandale.
On devine le sort qu’on pourrait réserver à La Marseillaise en France, si on la faisait passer dans le tordeur «inclusif». Notre temps révèle ainsi son incapacité à s’inscrire dans l’histoire autrement que sur le mode du procès de ce qui l’a devancé. L’époque pense l’émancipation comme un arrachement au déjà-là et veut abolir ce qui, dans la tradition, ne confirme pas ses préjugés ou ne l’annonçait pas comme une promesse.(…)
En réinventant les mots, en les javélisant, on croit laver le langage du passé. Il faut voir dans cette conversion zélée une manifestation d’adhésion au nouveau régime. La chose se constate dans les termes utilisés pour parler de la «diversité» avec des termes comme «populations racisées», «ateliers non-mixtes» ou «populations perçues comme non-blanche». Qui parle la novlangue diversitaire s’y soumet. Univers étouffant qui empêche de nommer la réalité, qu’on censurera par tous les moyens possibles. Univers parallèle qui nous condamne à évoluer dans un monde fantasmé où il suffirait de changer le sens des mots pour faire naître un monde meilleur.
Merci à valdorf