120 000 fidèles, un minaret colossal, des milliards d’euros d’investissement : l’édifice est un vrai défi. Son chantier concentre tous les maux de l’Algérie. (…) « Ce projet est celui du président. Tous les moyens sont mis à disposition de ce chantier. Retards, coûts, polémiques, on gère, mais ce n’est pas important. Le plus important, c’est que le projet présidentiel avance… coûte que coûte » : un responsable du projet résume l’état d’esprit ambiant, balayant les couacs et les mésaventures du gigantesque chantier.
Placée presque au centre de l’arc de la côte ceinturant la baie d’Alger, à l’embouchure de l’oued El-Harrach, la plus grande mosquée d’Afrique – et 3e au monde après celles de La Mecque et de Médine – repose sur une assise d’un peu plus de 27 hectares et pourra accueillir 120 000 fidèles. Son minaret – le plus haut du monde, qui culmine à 267 mètres de hauteur (60 de plus que celui de la mosquée Hassan-II de Casablanca) – abritera un musée sur l’art et l’histoire de l’islam en Algérie sur 15 étages. La salle de prière occupera 20 000 mètres carrés. Il y aura aussi une bibliothèque de 1 million de livres pouvant accueillir 1 800 personnes, un centre culturel (3 000 personnes), un institut La Maison du Coran et un parking de 4 000 places, sans oublier une salle de cinéma, une salle de conférence, des restaurants, des cafés, des boutiques d’artisanat…
Dès la genèse du projet, les critiques ont fusé. (…) Autre épisode du feuilleton « grande mosquée » : la nature instable du terrain. L’alerte a été lancée par le président du Club des risques majeurs, le Pr Abdelkrim Chelghoum, qui s’inquiète des dégâts que pourrait provoquer un séisme. En particulier de la liquéfaction du sol, qui serait ici favorisée par la nature du site, sur une rive, et celle du terrain. En 2008, le ministre des Affaires religieuses de l’époque avait déjà tonné contre ceux qui s’opposaient au choix de cet emplacement : « Il n’est pas question de changer de terrain. L’étude du choix du site a été faite par des spécialistes et les autorités l’ont agréée. » Puisque c’est Bouteflika qui a choisi la maquette et le site, le débat est clos. Selon l’expert, si un séisme « superficiel » (qui a lieu dans les 100 premiers kilomètres de profondeur) de 7 sur l’échelle de Richter venait à secouer Alger, le minaret accuserait des dégâts très préjudiciables, avec un grand risque de basculement. Chez des compagnies d’assurances mondialement réputées, une plaisanterie circule déjà sur la « tour de Pise d’Alger » que personne ne voudrait assurer… Excédé, l’ex-Premier ministre Tebboune, qui avait suivi le projet, traitait les lanceurs d’alertes de « malades qui cassent tout ce qui est algérien ».
(…) Lors de la signature du contrat, en 2008, la CSCEC avait estimé le projet à 900 millions de dollars, avec un délai de réalisation de quatre ans ! Dix ans plus tard, après plusieurs surcoûts et de nombreux délais non respectés, la facture s’est considérablement alourdie. Depuis 2016, les chiffres qui ont filtré sur le coût global (hors budget décoration) flirtaient avec les 2,2 milliards de dollars. « Vu la taille du projet, les matériaux et les technologies employés, nous estimons le coût global actuel entre 3,5 et 4 milliards de dollars », affirme un bureau d’études consulté par Le Point. « Son coût au départ aurait permis de construire vingt CHU. Dix ans après, je vous laisse imaginer le gouffre financier et tout le gâchis de temps et d’énergie pour la plus grande gloire d’un chef », regrette un opposant politique. . Le journaliste et écrivain Yassine Temlali tente aussi des parallèles : la mosquée et ses annexes devraient coûter 1,5 milliard de dollars, soit 2 % du total des revenus des exportations algériennes et les trois quarts des exportations, hors hydrocarbures.
(…) Aujourd’hui, les travaux se poursuivent et les 17 000 ouvriers du chantier – 10 000 Algériens et 7 000 Chinois – s’activent autour du dôme d’acier gigantesque fabriqué en Chine et transporté depuis Shanghai par un cargo spécialement adapté. L’opinion et même les médias algérois, lassés par les retards accumulés et non assumés, se laissent à aller à la fatalité : la mosquée se terminera quand Dieu le voudra.