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Dans un petit essai remarquable, Démocratie smartphone, Francis Brochet fait le constat de l’impact des nouvelles technologies sur la vie politique et le comportement des électeurs. Pour Figarovox, il décrypte les enjeux de cette révolution numérique, qui est aussi démocratique et anthropologique.

(…) Internet entraîne un autre bouleversement, à mon avis trop peu souligné, et c’est cela qui a déclenché mon envie d’écrire ce livre: Internet change l’électeur, ou plutôt, pour ne pas tomber dans la «divinisation de la technique» que vous critiquez à juste titre, Internet accélère un changement en cours. Comment imaginer que le numérique puisse transformer nos vies de salarié, nos relations en société, nos amours – mais pas notre vie citoyenne? Nous tous, électeurs, sommes devenus plus instables dans nos choix, plus accessibles aux arguments d’émotion, plus radicaux dans nos opinions. Comme lorsque nous tapotons sur notre smartphone, nous exigeons des politiques qu’ils nous apportent des réponses immédiates, dans les deux sens du mot: instantanées et sans médiation. C’est en ce sens que la politique au temps du numérique est spontanément populiste, et que l’on peut parler de «populisme numérique»

Trump a encore amplifié le phénomène allant jusqu’à gouverner avec Twitter. Son «populisme numérique», décrié par beaucoup d’observateurs, est-il efficace?

-Son populisme numérique a déjà été extrêmement efficace pour l’élire président: Donald Trump a gagné l’élection sur les réseaux sociaux, tandis que tous les médias traditionnels soutenaient Hillary Clinton. Cela n’a pas été vu, car l’immense majorité des stars de la Silicon Valley était avec Clinton, supposée plus «moderne», quand Trump et ses électeurs étaient caricaturés en imbéciles arriérés. Nos démocraties doivent faire avec cette réalité: le numérique favorise les idées en rupture avec le consensus «raisonnable», porté par les «élites» – les guillemets sont importants, car on est toujours «l’élite» de quelqu’un. Regardez les législatives en Allemagne: le libéral Christian Lindner a fait campagne sur sa jeunesse et sa supposée modernité numérique face à Angela Merkel. Le problème pour lui est que, sur les réseaux sociaux, il était largement distancé par l’extrême droite nationaliste, l’AfD – qui l’a devancé dans les urnes de deux points.

(…) L’effondrement du clivage droite/gauche de la présidentielle 2017 aurait-il été possible sans les réseaux sociaux?

-À ce point, non, je ne le pense pas. Entendons-nous: il existe encore une droite et une gauche, avec des références, des valeurs différentes. Mais elles sont aujourd’hui bousculées par des électeurs «ubérisés», qui ne se réfèrent plus à une doctrine, une tradition, un parti, mais seulement à eux-mêmes. Chacun bricole son opinion, agrégeant des valeurs de droite et de gauche, extrémistes ou centristes. L’électeur se comporte comme l’internaute, qui appartient simultanément à de nombreuses communautés virtuelles dont il est le seul point d’intersection. Marine Le Pen a très tôt fait de cette transgression du clivage gauche-droite sa marque de fabrique. Jean-Luc Mélenchon l’a théorisé dès 2014 dans «L’ère du peuple», remplaçant la gauche par le peuple, puis «les gens». Et Emmanuel Macron a suivi, «et de droite, et de gauche»… Vous avez là les trois vainqueurs de la présidentielle.

(…)

Au total, la démocratie est-elle, selon vous, gagnante ou perdante de cette numérisation du monde?

-On peut dire de l’imprimerie qu’elle a créé l’individu moderne et entraîné des guerres de religions… Une technique n’est en elle-même ni bonne ni mauvaise. Elle est ce que l’on en fait. Il importe donc de comprendre ce que signifie la révolution numérique pour nous, de mesurer son importance et d’envisager tous ses potentiels: c’est la condition pour travailler à en tirer le meilleur au détriment du pire.

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Merci à valdorf

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