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ÉTUDES POLITIQUES – À trois jours du congrès du Front national, la Fondation Jean Jaurès publie une étude de Jérôme Fourquet établissant le lien entre mouvements sociaux, phénomènes culturels et crises internationales, qui en plaçant la question de l’immigration et de l’islam au premier rang de l’actualité, favorisèrent la percée électorale du parti de Jean-Marie Le Pen. Le Figaro la dévoile en exclusivité.

L’année où les immigrés sont devenus visibles…

1. Les grèves dans l’automobile

Dans un contexte de restructuration de la filière, l’industrie automobile, qui employait une importante main-d’œuvre immigrée, allait connaître des grèves dures et marquantes en 1982-1983. Le 22 avril 1982, une première grève éclatait à l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois, suivie de trois autres usines Citroën à Levallois, Asnières et Saint-Ouen, puis d’une grève, le 1er juin, à l’usine Talbot de Poissy, qui donnera lieu à de violents affrontements. Les grèves reprendront ensuite au début de l’année 1983 chez Renault (Billancourt, Flins) puis de nouveau à Talbot-Poissy. Ces conflits sociaux très médiatisés constitueront un moment très important dans la visibilité de la population immigrée.

Les revendications prirent en effet également une dimension religieuse comme l’atteste la banderole qui ornait le site de Poissy pendant le conflit: «400 francs pour tous, 5e semaine accolée aux congés, 30 minutes pour le ramadan, nous voulons être respectés!»

2. La Marche des Beurs

La «Marche des Beurs», qui se déroule du 15 octobre au 3 décembre 1983, de Marseille à Paris, donnera une visibilité sans précédent à la «deuxième génération». Après des affrontements récurrents entre des jeunes de la cité des Minguettes à Vénissieux et la police, certains jeunes créent l’association SOS Avenir Minguettes et entament une grève de la faim pour protester contre la répression policière. Toumi Djaïda, président de l’association, sera blessé par la police le 20 juin 1983. À la suite de ces événements, l’idée germe parmi ces jeunes et certains de leurs soutiens dont Christian Delorme, le «curé des Minguettes», d’organiser une grande marche pacifique comme celles de Gandhi et de Martin Luther King.

3. Jeunes des cités et crise des banlieues

L’année 1983 allait également être marquée par différents événements ayant pour cadre les banlieues populaires mettant ainsi le projecteur sur la jeunesse immigrée vivant dans ces quartiers. Durant l’été 1983, le quartier des Minguettes à Vénissieux allait être secoué par des émeutes. Les scènes de rodéos avec des voitures volées ou incendiées de véhicules, et d’affrontements avec la police entraient en force dans les foyers français via la télévision qui couvrit largement ces événements.

Le 9 juillet 1983, alors qu’il jouait avec ses amis avec des pétards, le jeune Toufik Ouannès, 10 ans, était abattu à la Cité des 4000 à La Courneuve par un voisin, agent de la RATP, excédé par le bruit. Ce fait divers eut un important retentissement dans le pays. François Mitterrand se rendit dans la cité et annonça une opération «prévention été 1983» dite aussi «anti-été chaud» avec notamment le financement d’activités sportives et de découvertes pour les jeunes. (…)

À Tourcoing, via un minutieux et fastidieux travail de dépouillement de la presse locale (Nord-Eclair) sur la période courant de l’été 1982 à juin 1984, soit juste avant la percée du Front national dans cette ville populaire du Nord, Bernard Alidières a mis en lumière la forte prévalence des jeunes d’origine maghrébine dans la délinquance locale. Sur 57 articles évoquant cambriolages, vols à la tire, agressions, etc., et dans lesquels le nom de l’auteur du délit était mentionné, dans 40 cas il s’agissait d’une personne issue de l’immigration maghrébine. C’est au début des années 1980 qu’a été enregistrée la montée en puissance de la délinquance dans les quartiers populaires avec un rôle significatif joué par une frange de la jeunesse immigrée. Cette réalité nouvelle s’est invitée dans les représentations de la population française autour de cette année charnière de 1983.

4. Une visibilité culturelle

La visibilité croissante de la population maghrébine s’effectuera également sur le plan culturel en 1983. C’est l’année de la sortie du film Tchao Pantin, primé à Cannes, mettant en scène dans l’Est parisien populaire et interlope, un pompiste alcoolique représentant le prolétariat blanc, joué par Coluche, et un jeune dealer maghrébin, Youseff Bensoussan, joué par Richard Anconina. La même année, le chanteur Renaud écrit une chanson intitulée Deuxième génération, l’histoire de Slimane, jeune Beur de 15 ans vivant à La Courneuve et ayant passé «son CAP de délinquant». Renaud décrit cette jeunesse qui n’envisage pas de retourner au pays mais qui peine à trouver sa place dans cette France du début des années 1980. Symboliquement, cette chanson qui a pour cadre La Courneuve, met en scène le basculement démographique en train de s’opérer à cette époque dans les quartiers populaires où le poids de la population issue de l’immigration devient de plus en plus prégnant. C’est encore la même année que le jeune humoriste Smaïn apparaît dans le très populaire Petit Théâtre de Bouvard, sur Antenne 2. Dans un parterre de comédiens et chansonniers blancs, un jeune Maghrébin prenait soudainement place.

5. À l’international, l’émergence de la menace islamiste

Au cours de cette année 1983, différents événements mondiaux nourrissent des représentations anxiogènes vis-à-vis du monde arabe et musulman dans l’opinion française. L’Occident regarde avec stupéfaction le réveil religieux musulman déclenché par la révolution islamique en Iran en 1979 et la longue guerre Irak-Iran (1980-1988). La guerre au Liban allait prendre une intensité inédite en 1982 avec le siège de Beyrouth. Les récits et les images de combats politico-religieux alimentent l’idée d’une nouvelle guerre de religion entre chrétiens et musulmans. Le 23 octobre 1983, deux attentats simultanés tuèrent l’un 241 soldats américains et l’autre 58 parachutistes français dans la destruction de l’immeuble dit Drakkar. Revendiqué par l’Organisation du Jihad islamique, cet attentat signait l’émergence du péril islamiste intégriste.

.. Et où le FN a enregistré ses premiers succès

1. Le coup de semonce de Dreux

C’est dans ce contexte que le Front national allait prendre son essor autour de la question de l’immigration. Monica Charlot rappelait dans un article pour la Revue française de science politique, que pour qu’un enjeu affecte le comportement électoral, trois conditions doivent être réunies: les électeurs doivent se sentir concernés par l’enjeu ; l’électorat doit être divisé sur l’enjeu ; les partis doivent prendre des positions différentes. Les deux premières conditions étaient remplies dès 1983. Jean-Marie Le Pen se chargea de faire advenir la troisième. Il expliqua ainsi sur Antenne 2, le 17 juin 1984, au soir de l’élection européenne: «Ce n’est pas moi qui ai créé le problème de l’immigration, mais je m’honore d’avoir été le premier à l’avoir posé devant l’opinion publique et avoir forcé chacun à prendre ses responsabilités sur ce sujet.»

2. La percée des Européennes de 1984

Les événements de cette année 1983 et ses premiers succès électoraux allaient servir de tremplin au FN au moment de s’engager dans la campagne des européennes. Créditée de 4 % seulement dans les sondages Ifop en février en 1984, et de 6 % en mai, la liste conduite par Jean-Marie Le Pen allait obtenir 10,95 % dans les urnes le 17 juin. L’analyse des motivations de vote des électeurs du FN montre que les thématiques de l’insécurité et de l’immigration se placèrent en tête bien avant la question européenne qui était pourtant l’objet de ce scrutin et qui figurait en tête (avec le chômage) des sujets prioritaires pour l’ensemble des Français. L’électorat frontiste se distinguait donc du reste du corps électoral en affichant des préoccupations spécifiques et en pratiquant ce qu’on appelle un «vote sur enjeu».

C’est sur le thème de l’immigration que l’écart avec la moyenne était le plus élevé, avec un différentiel de 20 points. Ainsi, dès son émergence dans le paysage politique, l’électorat frontiste s’est caractérisé par une marque de fabrique particulière, la très forte sensibilité à l’immigration. Plus de 30 ans plus tard, cet ADN spécifique est toujours en vigueur. Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, la lutte contre l’immigration clandestine se plaçait en tête des enjeux ayant déterminé le vote des électeurs de Marine Le Pen alors qu’il n’arrivait qu’en neuvième position auprès de l’ensemble des Français.(…)

Mais pour reprendre le terme employé par Jean-François Sirinelli, on peut aussi les voir comme les symptômes d’une autre révolution française, celle du basculement de la société française en une société multiculturelle. Les récentes élections en Allemagne, avec la percée de l’AfD, et en Italie, avec les performances de la Ligue, montrent que l’incidence forte des questions d’immigration sur le comportement électoral n’est pas une spécificité française.

Le Figaro

Merci à valdorf

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