Face à une défense de plus en plus bancale, Tariq Ramadan n’a plus que la carte de l’idéologie à jouer pour espérer survivre dans le cœur de la jeunesse musulmane, selon Antoine Menusier. C’est le pari qu’il tente en déployant le mythe du «martyr» persécuté pour sa foi, sans grand succès pour le moment.
Antoine Menusier est journaliste indépendant, correspondant à Paris de journaux suisses, et ancien rédacteur en chef du Bondy Blog.
(…) La «banlieue», que Tariq Ramadan a tant labourée au cours des trente dernières années, n’est pas venue soutenir en chair et en os celui qui fit l’éducation politique et religieuse de beaucoup de jeunes Français de la deuxième génération d’origine maghrébine et subsaharienne. Faut-il y voir une défiance? Un désintérêt? Un côté has been chez le personnage? Une prudence guidée par les lourdes charges qui pèsent sur lui? L’effet d’un «féminisme musulman» qui sacrifierait l’homme pour épargner l’islam des éclaboussures?
Selon nos informations, les renseignements enregistrent des «remontées du terrain en provenance des quartiers populaires», mais rien pour l’heure qui autorise à penser qu’un basculement dans la violence est proche. «Tariq Ramadan est un intellectuel, il est déconnecté de ceux qui, dans les quartiers, pourraient commettre des troubles et sont prompts à réagir à ce qu’ils appellent les violences policières», observe un fonctionnaire du renseignement. Mais dans ce jeu des apparences, faute d’informations indubitables, de toute manière concurrencées par un fort courant conspirationniste, ce ne sont pas tant des troubles mais les effets du sentiment d’injustice, sa rumination, qu’il convient de prendre en compte. Le martyr n’est pas un vain mot pour tout le monde.
(….) En envoyant au charbon des «seconds couteaux», samedi, le comité de soutien a permis que s’exprime une parole «très limite», laissant livrées à elles-mêmes des personnes remontées contre le «système». «Et Polanski? Et Hulot? Et Darmanin? Pourquoi ne sont-ils pas en prison?» Aucune réponse rationnelle ne semblait pouvoir être entendue. Tariq Ramadan est victime d’un monstrueux «deux poids, deux mesures», parce qu’il est «musulman», l’un des meilleurs qui soit, le seul qui, ces dernières décennies, a «explosé» ses adversaires dans des débats télévisés. On le compare à Mandela, à Jean Moulin, à Dreyfus…
N’y aurait-il plus que le «martyr» comme dernier argument? Les «historiques» du comité de soutien, les Lyonnais de l’Union des jeunes musulmans, canal par lequel les frères Hani et Tariq Ramadan venant de Genève ont fait leur entrée dans les banlieues françaises au début des années 1990, reconnaissent à présent que l’alibi de l’avion prétendument en provenance de Londres, le 9 octobre 2009, à une heure qui ne permettait pas la commission du viol dont l’une des plaignantes accuse Tariq Ramadan, était «bidon». Sur le front médical, une nouvelle expertise du prisonnier a été demandée par la justice française. Ses conclusions seront rendues courant mars. Les résultats de la première, décriée par le comité pour sa brièveté – «quinze minutes» – jetaient un doute sur la réalité d’une sclérose en plaques et d’une neuropathie, deux pathologies dont il serait affecté et le feraient actuellement souffrir. On le dit aussi sujet à des épisodes anxio-dépressifs. Or, qui, jusqu’ici, informait le public sur l’état de santé du mis en cause? Son comité de soutien, son épouse, son frère. La défense, elle, restait étrangement muette, comme mal à l’aise avec un dossier à la tournure de plus en plus politique et religieuse.
Il était manifestement temps de changer d’avocats. Selon L’Express – qui annonçait mercredi le dépôt d’une troisième plainte pour viol visant le prédicateur suisse -, Me Emmanuel Marsigny (défenseur d’accusés dans l’affaire des biens africains mal-acquis, entre autres dossiers «chauds») remplacerait Mes Yassine Bouzrou et Julie Granier, les conseils de Tariq Ramadan – côté parties civiles, la star du barreau Francis Szpiner s’en vient renforcer l’équipe entourant Henda Ayari. L’affaire Ramadan prend donc du galon. Cela pourrait signifier la relégation du comité de soutien au second plan, mais sûrement pas sa disparition, quelques-uns pouvant espérer tirer personnellement parti du cas de celui qu’ils affirment défendre. Nous sommes au début d’un drame psychologique qui s’annonce long. La banlieue, sa partie militante, est pour l’heure dans l’expectative. Elle lâchera Ramadan ou sera tentée d’en faire un héros, selon qu’il apparaîtra coupable ou victime.
(Merci à Valdorf)