À l’heure où grandit la peur d’une « islamisation » des banlieues, le sociologue Fabien Truong a enquêté à Grigny et en Seine-Saint-Denis afin de mieux comprendre la soif de religiosité des «mauvais garçons» de la nation. Loin du sensationnalisme et des clichés véhiculés dans certains médias, le sociologue emmène le lecteur au cœur des quartiers, dans l’intimité de ces jeunes pour qui l’islam devient un moyen pour sortir de l’impasse, par le haut ou par le bas.
Le quartier n’est en cela pas différent du reste de la société, qui produit les mêmes loyautés contradictoires, mais le quartier étant à la marge de la société, ces contraintes y sont exacerbées. […] C’est donc bien le quartier, et par extension la société, qui rend les garçons « comme ça », mais je récuse l’idée qu’il existe une « culture de banlieue ».
Quelle est la démarche de votre livre ?
Ce livre est le fruit d’une enquête. Je cherchais à en apprendre davantage sur ceux qui sont souvent perçus comme les «mauvais garçons» de la nation, les jeunes des cités, des milieux populaires, qui passent par des phases plus ou moins prolongées de délinquance. Plus précisément, je me suis focalisé sur ceux de ces garçons qui restent longtemps coincés dans la délinquance et ont du mal à en sortir. Ce n’est pas du tout la population majoritaire chez les garçons de cité. Mais elle existe, et elle grandit. […]
Tous ces jeunes vivent avec un sentiment de souillure énorme. Le vocabulaire de la saleté est omniprésent. La volonté de se laver est donc très forte chez eux. Or, c’est ce que permet l’islam : se racheter petit à petit, en accumulant des bonnes actions. […]
La religion n’est donc pas forcément à blâmer, selon vous, dans l’émergence de terroristes « maison », c’est-à-dire de terroristes ayant grandi en France…
Pour commencer, il faut réaliser que parler de « la religion », ça n’a pas de sens ! La religion est une interprétation d’une collection de textes sacrés. Ces interprétations sont humaines et sociales. Se positionner sur « la religion » sans distinguer la multiplicité des interprétations individuelles, c’est donc déjà faire un contre-sens ! À l’inverse, je souhaitais comprendre comment ces jeunes des quartiers interprètent les textes, ce qu’ils y cherchent et ce qu’ils y trouvent. Or, il apparaît que l’islam, chez ces jeunes, est soit un élément qui alimente la mise en spectacle de la rupture, soit un médium aidant dans la désistance, c’est-à-dire à une sortie de la délinquance et une forme de pacification intérieure. Le premier cas est de loin le plus rare, mais il est bien plus visible et plus médiatisé. Contrairement à ce que l’on veut bien croire, l’islam est en général un vecteur d’apaisement personnel, parce qu’il répond à des questions restées sans réponses et joue ainsi un rôle métaphysique, intellectuel, esthétique et politique essentiel. […]