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L’historien et démographe Emmanuel Todd dénonce le conformisme des élites enfermées, selon lui, dans leur dogme libre-échangiste. Il voit dans la montée des populismes un regain démocratique des peuples.

Avec ses récentes mesures protectionnistes, Donald Trump est-il en train de déclencher une guerre commerciale ?

Il faut d’abord s’entendre sur l’expression « guerre commerciale » ! Car en réalité, nous sommes déjà en guerre commerciale. Notre libre-échange, avec la tension structurelle sur la demande, c’est déjà de la guerre commerciale. Donald Trump ne fait qu’inverser les règles du jeu à l’intérieur de cette situation de guerre. […]

C’est assez inattendu de la part d’un pays traditionnellement libre échangiste…

Oui, le combat intellectuel et idéologique contre le libre-échange a été perdu aux Etats-Unis, ou en France par d’excellents économistes comme Jacques Sapir et Jean-Luc Gréau, par moi aussi… Mais à cause de la dégradation dramatique de la situation des classes populaires et des jeunes diplômés américains, ce combat a été gagné par surprise aux Etats-Unis, et au plus haut niveau, dans un second round électoral, par des populistes lucides contre un establishment aveugle. Nous sommes en train de vivre un changement de cycle. […]

Si la définition d’un espace protégé par les Américains nous conduisait à créer une zone de protection en Europe, j’applaudirais des deux mains : une hausse des salaires y redeviendrait possible et la demande globale augmenterait, relançant ainsi les échanges entre continents ! Mais l’Europe n’est pas, comme le monde anglo-américain, démocratique de tempérament. Pour passer au protectionnisme, il faut accepter la légitimité du choix des gens ordinaires. Le passage au protectionnisme est une révolution sociale. Pour comprendre cette conception économique, il ne faut pas seulement se demander si elle est bonne pour le PIB global ; il faut comprendre que le protectionnisme avantage les ouvriers, les techniciens, les ingénieurs, les gens ordinaires, les jeunes, diplômés ou non, les immigrés et leurs enfants. Le protectionnisme est d’essence démocratique car il entraîne une chute des inégalités. Le moulin à prières « protectionnisme = fermeture = racisme » n’est que l’arme de guerre idéologique de gens trop riches ou trop paresseux. […]

La critique que vous faites du libre-échange est essentiellement économique : quid de la question de l’immigration ?

Comme je l’expliquais dans mon dernier livre, la démocratie, au départ, c’est un peuple particulier qui s’organise sur un territoire pour débattre dans une langue que tout le monde comprend. Dans l’idée de démocratie, il y a l’idée d’appartenance territoriale et il y a toujours un élément de xénophobie fondatrice. Pourquoi refuser de voir l’histoire : Athènes, l’Amérique raciale, le nationalisme révolutionnaire français ? Il est donc tout à fait logique que le regain démocratique que l’on observe actuellement contienne une part de xénophobie. Je vais tenter un aphorisme, en espérant un peu d’humour à sa réception : « Si beaucoup de xénophobie détruit la démocratie, un peu de xénophobie peut y ramener. » La conscience de soi d’un peuple est un « mal nécessaire » pour établir un minimum de cohésion sociale et une capacité d’action collective.

J’ai toujours été un « immigrationniste » raisonnable. L’histoire de ma famille m’interdirait de penser autrement. […]

Le Figaro

Merci à Proserpine

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