C’est dans une petite maison de banlieue parisienne, chez ses parents, qu’est rentré “Ravachol” fin janvier. “C’est le nom de militant que j’utilise en France. Là-bas, on m’appelait Piling, qui veut dire panthère”, explique ce jeune révolutionnaire anarcho-communiste, comme il se définit, un treillis toujours pour pantalon, une Kalachnikov tatouée sur le bras droit. Ravachol a 18 ans. Il gravite à l’extrême gauche depuis qu’il en a 15.
“Je n’ai jamais vraiment été à l’aise avec cette société qui ne me permettait pas de développer ma personnalité“.
Il raconte comment il s’est “enfermé dans une bulle” : “J’ai arrêté l’école, j’ai arrêté de fréquenter mes amis, je passais mon temps à regarder des vidéos de propagande communiste sur internet et un jour j’ai découvert le Rojava et la révolution anarcho-communiste. Je me suis dit, il faut que j’y aille.”
Le Rojava, c’est la région au nord de la Syrie, où les Kurdes tentent de bâtir un régime d’inspiration néo-marxiste tout en combattant le groupe État islamique. Alors au mois d’août dernier, quelques semaines après avoir décroché son bac, “Ravachol” part pour prendre les armes. Son travail ? “Éliminer les gars de Daech”, explique-t-il. Après un mois de formation aux côtés des forces kurdes YPG (Unités de protection du peuple), le tout jeune volontaire raconte avoir d’abord manié la mitrailleuse montée sur pick-up entre Raqqa et Deir Ez-Zor, avant de devenir sniper.
“Tirer au fusil sniper, c’est magnifique. Quand je me lève le matin et que je n’ai pas mon Dragunov aligné contre le mur, je me dit qu’il y a quelque chose qui manque. L’odeur de la poudre me manque, la sensation de presser la détente me manque, c’est devenu une addiction”, confie le combattant. Une addiction qui l’a conduit à croiser ce qu’il pense être un autre Français, jihadiste lui, après un bombardement dans le secteur d’Abu Hamam. “Il y avait cinq gars de Daech couverts de poussière assis dans la cuisine, se souvient “Ravachol”. Le commandant a pris un gars par les cheveux et a dit qu’il était Français. J’ai essayé de lui parler, j’étais assez brusque avec lui pour qu’il parle mais il m’a à peine répondu (…) Je sais pas ce qu’ils en ont fait.”
En cinq mois de combats, “Ravachol” a été blessé quelques fois, sans trop de gravité, mais un tir de roquette l’a profondément éprouvé. Il se trouvait sur un toit dans la région de Deir Ez-Zor et se rappelle d’une “énorme roquette” qui se dirigeait vers lui. “J’étais paralysé, raconte-t-il. Elle a atterri sur du marbre, j’étais recouvert de sang et de poussière, je pensais que j’étais devenu aveugle, je n’entendais absolument rien et ce jour-là j’ai été marqué psychologiquement. J’en cauchemarde beaucoup.”
Cet événement a poussé le jeune combattant à revenir en France pour des examens médicaux. Il souffre de problèmes de tension, entend toujours des bruits de balles et d’explosions et envisage d’aller voir un psy. Revenu chez ses parents, il ne s’étend pas sur le regard que ses proches portent sur son engagement et passe encore énormément de temps à suivre sur les réseaux sociaux ses “camarades”, comme il les appelle, restés au front.
“Ravachol” explique aussi suivre un perfectionnement “théorique” au maniement des armes. Une formation via une mystérieuse organisation révolutionnaire qu’il refuse de nommer et qu’il dit avoir intégrée un an avant son départ : “C’est une très petite organisation, très secrète, très très dure, précise-t-il, très professionnelle et assez militarisée et qui m’a permis d’aller au-delà des frontières pour aller au Kurdistan syrien me battre et surtout au-delà de moi-même pour essayer de me comprendre, pour me permettre d’être sur la voie du bonheur.”
À son retour du Kurdistan, “Ravachol” a été convoqué par la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure). “Ils m’ont demandé les noms de mes camarades qui étaient au front, les personnes que j’ai fréquentées là-bas”, raconte le Français. “Le fait que je n’ai pas voulu donner de nom, ça les a vraiment énervés. Ils m’ont lancé des menaces indirectes, du genre : “Vous savez, il n’y a aucune preuve que vous êtes partis combattre avec les Kurdes'”.
Selon une source judiciaire, il n’y a pour le moment aucune procédure engagée contre des Français partis combattre aux côtés des forces kurdes. Les YPG ne sont pas considérés par Paris comme une organisation terroriste. Ils sont en revanche suivis de près par les services secrets. Comme “Ravachol”, tous les ex-combattants que franceinfo a pu joindre l’ont confirmé, ils ont eu au moins un entretien avec les renseignements intérieurs à leur retour en France.
Les volontaires d’extrême gauche suivis de près
Certains ont eu des échanges plus poussés. Un volontaire raconte avoir rédigé un rapport hebdomadaire quand il était au Kurdistan syrien. Cela se faisait par un système dit de “boîte mail morte”. Les deux correspondants ont le mot de passe et chacun écrit dans les brouillons. Cela évite les envois et donc potentiellement les interceptions de messages.
Un autre combattant, qui se trouve aussi être réserviste dans l’armée française, explique quant à lui avoir fait une note à la grande muette après chaque période de combat. Des échanges sur la situation locale, sur les mouvements de troupes, sur le moral, mais pas seulement, précise Maxime Barrat, revenu en France en août dernier après huit mois d’engagement au Kurdistan syrien. “Ça s’est précisé sur l’origine, l’identité des volontaires et plus particulièrement de l’extrême gauche on va dire.”
Leur crainte était clairement qu’il y ait un ou plusieurs militants qui aillent se former là-bas au maniement d’explosifs et qui reviennent pour militer un peu brutalement en France.
A son retour, un volontaire explique avoir carrément été missionné par les services de renseignement pour approcher une cellule anarchiste soupçonnée de vouloir s’attaquer au réseau ferré dans le sud de la France. Il dit avoir vite renoncé. Ce qui est sûr, c’est que les forces kurdes YPG ont récemment lancé des appels à s’en prendre aux intérêts liés à la Turquie partout dans le monde. Nouvel appel dimanche 18 mars, le jour de la chute d’Afrin, invitant les volontaires internationaux “à frapper les agents et les soutiens de l’ennemi”.
Serhat Tikkun – c’est son nom kurde – est un militant révolutionnaire français. Il a quitté Afrin il y a dix jours mais se trouve encore au nord de la Syrie. “La France est un terrain qu’on laisse à d’autres camarades. On ne peut plus se permettre maintenant de trop se griller en France”, confie-t-il. Mais d’ajouter : “Les révolutionnaires d’extrême gauche n’ont jamais ciblé les populations civiles. La seule crainte légitime ce serait quelques actions radicales, blocages ou endommager des biens matériels, mais ça ne serait pas très violent parce que le but ce n’est pas non plus de faire une mauvaise publicité aux Kurdes”, poursuit Serhat Tikkun.
Selon un engagé volontaire, une trentaine de Français seraient partis combattre aux côtés des forces kurdes depuis 2015. Deux sont morts, dont le Breton Olivier Le Clainche, tué en février à Afrin. Comme on l’a vu, ceux qui reviennent des combats contre l’Etat islamique ne sont pas inquiétés par la justice. La poignée qui a combattu contre les Turcs à Afrin redoute toutefois d’être traitée plus sévèrement après avoir fait face à une armée de l’OTAN.
“Ravachol”, lui, n’a qu’une idée en tête, repartir dans les semaines qui viennent “faire la révolution”, dit-il, en combattant les Turcs s’il le faut. “Je ne sais pas encore quand je peux repartir, je ne sais pas encore quand je voudrai repartir, mais ce qui est sûr c’est que je veux repartir sur place”, affirme le jeune homme. Dans le salon familial, son duvet est déjà prêt pour un nouveau départ.