À Toulouse, un club de lutte est sous surveillance des services de renseignement. L’un de ses membres serait lié à la mouvance islamiste radicale. Un repli communautaire se serait installé dans le club. Nous avons demandé à filmer un entraînement. Sans succès. Ce club a été créé fin 2016 par les membres d’un ancien club dissout. Selon nos informations, depuis quatre ans, le nombre d’hommes licenciés en lutte dans l’ancien puis le nouveau club augmente. Le nombre de femmes, lui, a été divisé par dix.
Julie s’est entraînée plusieurs fois par semaines dans ce club en 2015. Elle nous explique pourquoi elle en est partie : “Le président du club m’a dit : ‘Quand quelqu’un relève ton tee-shirt quand tu luttes, on voit ton ventre, on voit ta peau, il y a des gens que ça dérange ici.‘ Petit à petit, [les responsables du club] nous ont demandé de mettre des tee-shirts de moins en moins échancrés avec des pulls ras du cou.”
Au lieu de porter le tee-shirt officiel vendu par la fédération de lutte, Julie raconte que les responsables du club lui ont demandé de se couvrir les bras en mettant des manches longues. Et un bas de jogging à la place du short. Pour elle, c’est le fait même d’être une femme qui a posé problème.
Pour comprendre, un de nos journalistes s’est rendu au club de lutte en caméra cachée. Nous prétendons vouloir suivre un entraînement. Ce soir là, sur le tapis, une vingtaine d’hommes et une seule femme. Ses jambes sont couvertes. Ses bras, non. Nous interrogeons un des entraîneurs.
– C’est la seule femme ici ?
– Oui. C’est la seule fille.
– Qui combat avec la fille pour qu’elle progresse ?
– Les petits, ceux pour qui ca ne pose pas de problème par rapport à la religion, parce qu’ils sont petits. Et après ceux qui ne sont pas musulmans.
– Toi tu luttes avec elle ?
– Non.
A l’issue de cette rencontre, nous sollicitons à nouveau le club. Cette fois comme journaliste. Nous rencontrons l’un de ses membres. Il nous livre une version très différente. Il dément tout communautarisme. Il affirme que la religion n’a pas sa place dans le club. Nous lui demandons : “Si on vous dit à cause de ma religion je ne peux pas lutter avec une femme. On vous le dit ça dans votre club ?”. Il nous répond que personne ne dit ça : “Ça n’existe pas.”
Le club ne reçoit pas de subvention municipale. Les cours ont lieu dans une salle d’un gymnase, gracieusement mis à disposition par la mairie. Nous contactons Laurence Arribagé, maire adjointe LR chargée des sports à Toulouse : “Si tout ce que vous me dites était avéré, la ville prendrait ses responsabilités.”
Encore une fois, un gymnase, un terrain de sport n’est pas un lieu pour faire du prosélytisme et encore moins pour faire prévaloir la religion sur la pratique sportive tout simplement.
Laurence Arribagé, maire adjointe LR de Toulouse chargée des sports
“Les adeptes du salafisme ont stratégiquement ciblé les salles de sports.”
Replis communautaires, mixité mise à mal, radicalisation. Dans certains clubs de sport, aujourd’hui un millier de personnes a été signalée aux services de renseignements pour proximité avec les thèses djihadistes. Notamment en région Rhône-Alpes, autour de Paris et dans le sud de la France. Pour quelles raisons la religion s’imisce-t-elle dans le sport ? Les services de l’Etat avancent une explication : “Après le prosélytisme sur Internet, puis au travers des associations culturelles, les adeptes du salafisme ont stratégiquement ciblé les salles de sports.”
Confrontée à ce phénomène, une région a décidé de réagir. En Ile-de-France, animateurs sportifs, entraîneurs et patrons de club sont formés à détecter les signes de repli communautaire et de radicalisation. Patrick Karam, le vice-président LR du Conseil régional, chargé de la jeunesse et des sports, nous explique : “Nous avons des demandes sur des salles de prières effectivement dans les vestiaires ou des salles de prières adhoc pour le foot, il y a eu également des demandes de modifications des horaires d’entrainement avec la prise en compte du ramadan ou la prière du vendredi.”
En région parisienne, cette ligne rouge a été franchie dans un club de judo. Il y a quelques mois, un judoka que nous appellerons Grégory veut devenir professeur, comme en atteste sa convention de formation. Le judo est une discipline aux règles strictes. Au début d’un cours, avant et après chaque prise, le salut est obligatoire. Les combats sont mixtes. Grégory refuse de se plier à ces rituels.
Le directeur de la formation, Michel Godard, s’en inquiète. Il convoque Grégory en commission de discipline. Il nous raconte : “Les membres de la commission étaient ici et lui devant.” La commission interroge Grégory sur son comportement. Sur ce qu’elle considère comme les signes d’une radicalisation. Dans son rapport, la commission détaille la réponse du judoka. Elle est sans ambiguïté.
“Il considère que dans sa religion, un homme n’a pas le droit de toucher une femme étrangère.” Grégory reste inflexible. La commission décide de l’exclure de la formation de professeur de judo pour éviter tout prosélytisme sur le tatami. Michel Godard : “On pense qu’il va chercher l’adhésion d’autres, il va essayer de toucher d’autres personnes pour justement développer son mouvement, sa religion, comme il nous l’a dit, on était inquiet.”
Nous avons souhaité rencontrer Grégory. Nous lui avons rendu visite à son domicile. Il n’a pas souhaité nous répondre : “J’ai rien à dire. Que chacun fasse ce qu’il a à faire, moi je continue à être ce que je suis.”
Contactée, la ministre des sports nous renvoie au nouveau plan anti-radicalisation du premier ministre : les cadres techniques des fédérations sportives et les éducateurs seront formés pour détecter les signes de radicalisation et les signaler aux préfets.