Dans « La Grande Peur des catholiques de France » (Grasset), le journaliste Henri Tincq s’inquiète d’une dérive identitaire et réactionnaire au sein des fidèles.
En 2017, plus d’un tiers des catholiques pratiquants a voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Un symbole, selon Henri Tincq, de la dérive “catho-identitaire” d’une partie de l’Église française.
Pétrifiée par l’effondrement des effectifs (la moitié des prêtres français en activité ont plus de 75 ans), désemparée par l’islam comme une laïcité jugés de plus en plus offensifs, l’Église se replierait selon lui dans une contre-société hostile à la modernité et aux évolutions en matière de mœurs. […]
Comme nombre de catholiques, Étienne de Montety dans Le Figaro a comparé le geste du gendarme Arnaud Beltrame à celui du franciscain Maximilien Kolbe à Auschwitz, sacrifiant sa vie pour sauver celle d’un père de famille. Dans Slate , vous écrivez que cette comparaison est « excessive, disproportionnée, dangereuse et, disons-le, absurde ». Pourquoi ?
La comparaison entre le geste du colonel Arnaud Bertrame en mars 2018 et celui du franciscain polonais Maximilien Kolbe dans le camp d’Auschwitz en juillet 1941 est absurde. Au nom de leur foi chrétienne, entre autres, ils ont pris la place d’otages et l’ont payé de leur vie. Mais l’ampleur des deux tragédies, les deux contextes historiques, la vocation des deux hommes ne sont évidemment pas comparables. En outre, je trouve dangereuse cette forme de récupération idéologique et religieuse du geste héroïque d’Arnaud Beltrame. Faire de ce lieutenant-colonel, qui a pris la place d’un otage au supermarché U de Trèbes (Aude), un « martyr » chrétien, tué « par haine de la foi chrétienne », victime du terrorisme islamiste, ne peut qu’encourager tous les schémas d’interprétation selon lesquels l’affrontement planétaire entre le christianisme et l’islam est engagé. C’est faire le jeu des islamistes, qui ne songent qu’à créer les conditions d’une « guerre de civilisations ». […]
Vous rappelez dans votre livre que près d’un catholique pratiquant sur deux (48 %) a voté François Fillon au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 et 38 % pour Marine Le Pen au second tour. Comment analysez-vous ces données ?
Ce sont des chiffres qui m’ont surpris et, comme croyant, m’ont glacé. […] Ce qui m’a davantage encore surpris et peiné, c’est le fait que la conférence épiscopale française entre les deux tours n’a pas été capable d’appeler à faire barrage à la candidature Le Pen, alors même que François Fillon avait dit qu’il fallait tout faire pour éliminer la représentante du Front national. […]
Merci à elio