Deux mois après sa relaxe, «Libération» a rencontré le «logeur» du 13 Novembre, reclus dans un hôtel. Toujours fanfaron, l’homme estime cependant sa vie «foutue» et réaffirme son innocence. Même si sa «notoriété» lui pèse, il aimerait publier une biographie.(…)
Pendant près d’une heure, impossible de poser la moindre question : «Je suis pas un “terro” je vous dis. Je vous le jure sur mon fils que je ne savais pas qui était Abaaoud. J’aurais foutu ma vie en l’air pour 150 balles ? Franchement… C’est ce que je me faisais en dix minutes en vendant de la coke et du crack. Wallah, je suis pas un putain de terro !» Jawad hurle si fort que tout l’arrondissement en profite. Sous la petite table, ou trônent des chips et un fond de vodka, sa jambe tremble à tel point qu’elle semble mitrailler le sol. «Faut que je me calme chef, je peux rouler un joint ? Il n’y a que ça qui marche», implore-t-il.(…)
Tentation la plus incandescente pour un mec sortant de taule : les filles. Jawad nous montre son Snapchat. Il y a cette adolescente de 16 ans, complètement nue, qui, écrit-elle, «désire devenir sa femme» sans même l’avoir rencontré. Il y a ces escort girls, qui proposent toutes sortes de services contre un peu de pub sur Internet. Jawad hallucine. Pour ne pas manquer la perle rare, il fait des listes. «Les moches, je les ignore. Les autres, je les enregistre dans mon répertoire à T-Max. T-Max parce que c’est des grosses cylindrées», rit-il bruyamment.
Autre démon, l’argent. Lors de son procès, Jawad avait ébahi l’assemblée par son cynisme. D’aucuns diront sa sincérité. Depuis le box des accusés, il déplorait la médiatisation extrême de ses déboires, ce qui au moment de sortir, l’empêcherait de se remettre à dealer peinard. Dopé à la culture télé-Tacchini-Lamborghini, Jawad, qui n’a jamais vraiment travaillé, a toujours quêté l’argent facile : crack, coke, cannabis, marchand de sommeil, prostitution, il s’est essayé à tous les arts. Il répète : «Quel intérêt y a-t-il à mouiller avec Daech pour 150 balles ? La coke, ça me rapportait 2 000, 3 000 euros la journée. Ma compagne, moi, on avait des vêtements, des télés, des téléphones, tout. Je suis tout sauf un idiot.»
Vrai. Jawad est même d’une agilité intellectuelle redoutable. Il a une répartie du tonnerre, une élocution parfaite – il précise toutes les marques de toutes les choses qu’il a acquises -, et un sens aigu des affaires.(…)
Sans son avocat, qui s’acquitte chaque jour de la note d’hôtel, Jawad pourrait être à la rue. Le logeur sans logis, l’image serait savoureuse si elle ne trahissait pas une détresse absolue. Xavier Nogueras : «L’isolement l’a massacré. Jawad n’a pas l’autodéfense culturelle pour résister longtemps aux démons de la rue. Je le pousse à faire un dossier de RSA, mais il angoisse. Il faudrait qu’il quitte la France pour se faire oublier. Au moins le temps que soit organisé son procès en appel [prévu le 21 novembre] car, avant, nous ne pouvons pas solliciter d’indemnisation pour le temps qu’il a passé en détention provisoire.»
Jawad, lui, est persuadé que beaucoup se délecteraient de sa rechute : «A Fresnes, on m’a mis dans la cellule voisine de Reda Kriket, l’un des terroristes les plus dangereux du pays. On m’a aussi fait parvenir en à peine quelques heures, une clé USB avec tous les prêches d’Abou-Bakr al-Baghdadi [le “calife” de l’EI]. En vrai, si je m’étais radicalisé, l’histoire aurait été plus simple. On aurait dit voilà, le gars de cité c’était un terro qui dissimulait. Sauf que moi, en taule, les gars de Daech voulaient me fumer parce que j’écoutais Booba et que je jouais à la Xbox.»
Aujourd’hui, Jawad cherche une plume pour écrire sa biographie. «On peut en vendre des milliers», fanfaronne-t-il. On l’imagine parfait en histrion de télé-réalité, genre Jawad à Ibiza ou Jawad à Bangkok. En attendant, son Snapchat regorge de propositions pour promouvoir les kebabs de tout le 93. Le deal est honnête : les proprios lui donnent un billet en échange de quelques selfies postés sur la page Facebook de l’établissement. Carton assuré. L’autre soir, son chauffeur privé Heetch l’a reconnu. Là encore, contre une vidéo de dédicaces, la course lui fut offerte.(…)
(merci à Dobsky)