Dis-moi qui tu lis, je te dirai qui tu es.
Baroque sarabande est en effet un récit autobiographique, où le sujet se raconte à travers les lectures qui l’ont construit. (…)
(…) Pour la future ministre, la lecture est à la fois une échappatoire et un marchepied vers la complexité du monde à travers le compagnonnage avec les anciens et modernes, écrivant depuis tous continents.
C’est sans doute cette prise de conscience précoce de la complexité et la diversité du monde qui permet à la ministre de n’avoir jamais dédaigné le compagnonnage d’un Jack London malgré l’adhésion obstinée de celui-ci à la hiérarchie des races, ou d’un Jorge Luis Borges « qui salue et flatte les généraux putschistes et criminels de masse Pinochet et Videla », ou encore d’un Alexis de Tocqueville qui, malgré la clairvoyance et la perspicacité dont témoignent ses analyses de la démocratie émergence en Amérique, s’était accommodé de l’absence des droits des anciens esclaves. (…)
Etincelante lucidité. C’est la principale caractéristique du nouveau livre de l’ancienne garde des Sceaux. Elle cite René Char : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil », érigeant cette qualité en hygiène de vie. Cela ne l’empêche pas de rappeler dans ces pages les scandales de l’Histoire, nécessairement tragiques : « du génocide amérindien à la traite négrière, du massacre des Hereros et des Namas aux goulags, du génocide arménien à l’Holocauste, de Srebrenica au génocide tutsi, de l’apartheid à la chasse aux Rohingyas… mais aussi de l’interminable et sanglante impasse en Palestine. »
Ces tragédies, suggère l’ancienne ministre, sont les conséquences de l’impérialisme européen qui a monopolisé l’idée de l’universalisme. Elle réclame le décentrement du monde déjà à l’oeuvre en littérature car la langue a les ressources pour affirmer son indépendance. « Elle n’est jamais détenue, explique-t-elle, ni tenue en joue moins encore en laisse ni non plus tenue au secret. Elle peut, fût-elle dominante en un lieu, écrasante, arrogante à force d’être confisquée par les maîtres, maîtres de relation, de situation ou même de plantation, se laisser reprendre, entraîner dans d’inattendus méandres d’où se dégagent de voluptueuses vapeurs. »