Par Carole Reynaud-Paligot
La maison de l’écrivain Pierre Loti, à Rochefort, est en péril. Une grande mobilisation est lancée afin de recueillir les fonds nécessaires à sa rénovation (douze millions d’euros). L’animateur Stéphane Bern, chargé par le président de la République d’une mission visant à identifier le patrimoine français en péril, l’a placée parmi les dix-huit lieux emblématiques (sur les 250 retenus par le comité de sélection) aux côtés de la maison d’Aimé Césaire à Fort-de-France en Martinique. Stéphane Bern souhaite une réouverture dès 2019 et «invite les jeunes à revenir se confronter à l’univers de Loti».
Stéréotypes racistes
Alors, relisons donc Loti comme on nous y invite. L’un de ses premiers ouvrages, Le Roman d’un spahi publié en 1881, met en scène Jean Peyral, un jeune soldat de l’armée française en mission au Sénégal. Jean prend pour maîtresse une très jeune fille nommée Fatou. C’est une «captive» qui, à la différence de l’esclave, a le privilège de jouir de sa liberté. Elle a renié sa foi musulmane pour adopter la foi chrétienne, «elle était baptisée, c’est une liberté de plus. Dans sa petite tête, rusée comme celle d’un jeune singe, tout cela était bien entré et bien compris», écrit Loti (p.78).
Peu après, l’écrivain nous décrit les réactions de Jean à la vue des mains de la jeune fille:
«Les mains de Fatou, qui étaient d’un beau noir au-dehors, avaient le dedans rose. Longtemps cela avait fait peur au spahi: il n’aimait pas voir le dedans des mains de Fatou, qui lui causaient, malgré lui, une vilaine impression froide de pattes de singe. Ces mains étaient pourtant petites, délicates –et reliées au bras rond par un poignet très fin. Mais cette décoloration intérieure, ces doigts teintés mi-partie, avaient quelque chose de pas humain qui était effrayant. Cela, et certaines intonations d’un fausset étrange qui lui échappaient quelquefois quand elle était très animée; cela et certaines poses, certains gestes inquiétants, cela rappelaient de mystérieuses ressemblances qui troublaient l’imagination… À la longue pourtant Jean s’y était habitué et ne s’en préoccupait plus. Il l’appelait d’un petit nom yolof qui signifie “petite fille singe”. Un jour en l’examinant, en la retournant de tous côtés, il lui dit “Toi tout à fait même chose comme singe”. Ce qui entraîna les protestations de la jeune fille et le rire de son ami Fritz Muller qui conclut “très joli petit singe, dans tous les cas!”» (p.102-104). (…)