Réactions intéressantes et contradictoires à propos des essais de la romancière nigériane, Chimamanda Ngozi Adichie, Nous sommes tous des féministes et Chère Ijeawele, en 2015 et 2017 : qu’est-ce que le féminisme en Afrique ? Est-ce une importation occidentale et blanche dont il faut se débarrasser pour cerner un féminisme africain ? Chimamanda Ngozi Adichie écrit : « Une universitaire nigériane m’a expliqué que le féminisme ne faisait pas partie de notre culture, que le féminisme n’était pas africain et que c’était sous l’influence des livres occidentaux que je me présentais comme féministe »[…]
Comme elle le fait toujours dans ses interventions, elle appuie ses propos par des exemples qui peuvent sembler anecdotiques car pris dans sa vie ou dans son environnement mais qui sont très parlants et, avec un petit effort d’adaptation, tout à fait transposables : adolescente, elle a été traitée de féministe – « et ce n’était pas un compliment » – par son meilleur ami lors d’une discussion alors qu’elle ne connaissait pas vraiment le sens du mot.[…]
Suivent ses quinze suggestions pour une éducation féministe : et quand bien même toutes ces conditions ne donneraient pas leur fruit – car les parents ne sont pas les seuls à faire l’éducation de l’enfant –, on peut essayer de transformer l’éducation à donner.[…]
La neuvième suggestion est de lui inculquer « un sentiment d’identité ». Et dans sa perspective de Nigériane : « apprends-lui à se sentir fière de l’histoire des Africains et de la diaspora noire ». Une suggestion aisément transposable à d’autres destins historiques puisqu’il permet de connaître et de distinguer privilèges et inégalités.[…]
Mais c’est surtout le second essai, sous forme épistolaire, qui déclenche remarques, réactions et rectifications… Le 28 janvier 2018 dans Libération, Isabelle Hanne interviewe l’écrivaine nigériane et souligne, en début d’article, ce qui est une des convictions de l’écrivaine : « Le sexisme nigérian et le sexisme américain se manifestent différemment mais se ressemblent beaucoup ». Elle la présente ainsi : « Elle vient d’un shithole country, un « pays de merde », ainsi que Donald Trump a désigné les pays africains et des Caraïbes, vit entre le Nigeria et les États-Unis et promeut un féminisme pragmatique, elle qui se dit « saisie d’ennui » à la lecture de « ce qu’on appelle « les classiques du féminisme » » (Nous sommes tous des féministes). L’écrivaine superstar, chantée par Beyoncé et dont le best-seller, Americanah, va être adapté au cinéma, est la marraine de la 3e édition de la Nuit des idées, qui a eu lieu jeudi dernier. A en croire sa tournée médiatique, la voix de Chimamanda Ngozi Adichie, 40 ans, est particulièrement pertinente, à l’ère des «muslim bans» et autre #MeToo. L’écrivaine promène son regard, sévère et tendre, sur les continents, les identités et le genre ».[…]
Libération publie, à son tour, une longue tribune, le 1er février, tribune reprise de Tabia Princewill, Journaliste au quotidien nigérian The Vanguard : « L’Afrique, dans le même état que ses librairies ? » Tabia Princewill reproche à l’écrivaine nigériane de masquer la réalité comme beaucoup d’intellectuels africains qui se sentent comme « des ambassadeurs du continent » en édulcorant l’état réel des choses.[…] L’écrivaine s’est mise dans une position de défense du Nigeria et ne dénonce pas l’état moribond des librairies et tous les lieux de culture, détériorés par « le matérialisme ambiant ». La journaliste reproche à la romancière de donner dans « l’afropolitanisme contemporain » (notion dont Adichie a dit clairement qu’elle ne la faisait pas sienne, pourtant), c’est-à-dire de gommer l’âpreté des réalités au pays pour en donner une version édulcorée, apaisante pour l’Occident. Elle ne gagne, en quelque sorte, sa médiatisation en Occident, que parce qu’elle présente une version light et fausse de l’Afrique. Et assez méchamment, elle ajoute : « Ceci explique d’ailleurs pourquoi, pour parfaire l’image que nous nous faisons de nous-mêmes (et donc de l’Afrique tant trahie et bouleversée par nos états d’âme ainsi que par les chocs extérieurs), l’Afrique, on l’aime, donc on la quitte ».[…]
Merci à Roy