Ces descendants d’Afro-américains non juifs, arrivés en Israël à la fin des années 1960, revendiquent une appartenance à la Terre promise. Après des débuts difficiles, la communauté obtient peu à peu un statut durable et des droits.
Même pour évoquer sa plus belle fierté, Ahedahlyah garde une voix douce et modeste comme sa mise – un gilet sur une longue robe de toile, de sobres boucles d’oreille. « C’est nous qui avons introduit le véganisme en Israël », murmure-t-elle.
Rien de plus et pourtant, Ahedahlyah et les siens pourraient pavoiser : l’État hébreu, où 5 % de la population s’interdit de consommer tout produit provenant des animaux ou de leur exploitation, se définit comme le pays le plus « végane » de la planète.
Qu’importe ! Ahedahlyah, 55 ans et multi-carte – médecin, elle enseigne aussi le yoga et le pilate –, tient surtout à démontrer la valeur de la contribution de sa communauté à Israël. « Nous avons participé à la progression du tourisme dans la région du Néguev », ajoute-t-elle.
« Nous », ce sont ces 3 000 « Hébreux israélites africains », des habitants d’Israël dont les aïeux, afro-américains, ont débarqué au bord du Jourdain en 1969 – sans aucun lien avec les juifs éthiopiens. Victimes d’un racisme quotidien outre-Atlantique et pour la plupart engagés dans la lutte pour les droits civiques, souvent ouvriers, musiciens pour certains, et chrétiens évangéliques pour quelques-uns, ces aventuriers vibraient d’une certitude : celle de retourner sur leur terre originelle.[…]
Autant de préceptes appliqués par Ben Ammi qui, dans les années 1960, s’appelait encore Ben Carter et travaillait dans une fonderie à Chicago. Jusqu’à ce jour de 1966 où, d’après la légende, l’ange Gabriel l’a chargé d’une mission : conduire les « enfants d’Israël » que compte la communauté afro-américaine sur leur terre originelle.
Une théorie discutée soutient la prophétie, exposée par Ahmadiel Ben Yehuda, ministre de l’information au sein du gouvernement informel de douze membres dont s’est dotée la communauté. « Les personnages de la Bible étaient noirs, commence-t-il, silhouette élancée et lunettes métalliques, dans un salon aux murs beige, orné d’un portrait de Ben Ammi. Ensuite, regardez l’histoire : après la destruction du temple de Jérusalem par les Romains, en 70 après Jésus-Christ, où sont allés les Hébreux ?Il suffit de considérer les chemins d’immigration : beaucoup sont allés en Afrique. »
Des siècles plus tard, l’esclavage aurait conduit les Hébreux noirs en Amérique : « Nous étions les nouveaux venus, ce sont donc nous que les Africains ont vendus. » Et le docte pédagogue de poursuivre : « Nous sommes d’authentiques Israélites, mais nous ne sommes pas les seuls. » Pour autant, la communauté se définit comme spirituelle et non comme religieuse : « Nous sommes judéens, pas juifs », tranche le « ministre ».
C’est donc pour renouer avec une identité qu’il juge bafouée que Ben Ammi respectera la prophétie de 1966. Un an plus tard, il quitte Chicago avec 400 condisciples vers la Terre promise. Mais avant le but ultime, la singulière bande fait escale symbolique au Liberia, jadis grand pourvoyeur d’esclaves, pour se « purger » des siècles de captivité. Puis, en 1969, elle débarque en Israël.
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Leur histoire en Israël pourrait se résumer à un combat pour faire accepter leur présence. Elle est aussi celle d’un défi à l’État hébreu, risquant l’accusation de « raciste » en cas d’expulsion mais ne pouvant appliquer « la loi du retour » aux Hébreux noirs. Voulant en finir avec leur position bancale, ces derniers multiplient quant à eux les témoignages de loyauté à Israël, dont ils n’ont jamais contesté le droit à exister.[…]
Ils ne s’épanchent pas plus sur la polygamie, pratiquée par certains au sein de la communauté. Et, pour repousser toute accusation de secte, le « village de la paix » est accessible à tous, ouvert sur Dimona et sans barrière.[…]
Les Hébreux noirs n’ont aucun lien avec les Juifs éthiopiens, dont la judaïté a été reconnue par les autorités rabbiniques dans les années 1970.