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Ils lui reprochent d’abord d’avoir corrompu les pratiques militantes. En abandonnant le combat politique au profit d’une conquête culturelle des élites, les progressistes identitaires sont de plus en plus entrés en tension avec la pratique démocratique de la délibération publique. Plutôt que d’accéder au pouvoir en emportant l’adhésion de leurs concitoyens, ils ont effectivement décidé d’établir leur hégémonie culturelle sur l’université, puis par effet de capillarité sur les médias et la justice. Le rôle croissant de l’éducation supérieure dans l’accès aux emplois les plus rémunérés a eu pour effet d’homogénéiser idéologiquement les classes supérieures tout en creusant le fossé culturel les séparant des couches les moins favorisées.
Le second reproche que leur adressent ces intellectuels de gauche concerne plus directement la dimension institutionnelle du combat politique. En cherchant moins à convaincre leurs semblables qu’à persuader les juges de prendre des décisions conformes à leurs idées, ou les journalistes de rapporter les faits selon l’angle qui est le leur, ces militants identitaires ont en réalité diminué, au sein de l’opinion, le crédit des institutions sur lesquelles s’exerçait leur influence. En plus de cette défiance croissante des classes populaires, la segmentation de l’électorat en différents blocs, rassemblés autour de revendications identitaires, a livré le champ du bien commun à leurs adversaires politiques, et plus particulièrement, aux populismes de droite. Elle a aussi incité les associations et groupes militants qui constituent la colonne vertébrale de ce nouveau militantisme à radicaliser le sentiment d’injustice de chacune de ces communautés afin d’en augmenter le potentiel de mobilisation politique.
Ce militantisme émotionnel, fondé sur le fantasme d’une société malfaisante dissimulant des structures de domination visant au contrôle et à l’oppression des dominés, a contribué à une bipolarisation aiguë du champ politique. Un telle situation isole de plus en plus ces militants de toute référence commune à leurs concitoyens qui ne se reconnaissent pas dans le portrait monstrueux que l’on fait d’eux. Mais plus grave encore, elle isole également les communautés qu’ils désirent défendre, les rendant plus vulnérables encore aux discriminations dont elles sont parfois effectivement victimes.
Afin de véritablement effectuer les changements qu’ils désirent apporter dans l’ordre social, les trois universitaires proposent à ces jeunes militants de cesser de voir dans l’expression de leur identité individuelle le but de la politique, et de revenir à une conception délibérative de la parole publique. Or une parole ayant pour ambition d’organiser l’action collective, c’est-à-dire l’action de tous, ne peut décemment pas reposer sur le mépris et la diabolisation d’une partie de la population dont la contribution est nécessaire à la santé de notre système politique. À quoi sert en effet de gagner un procès ou de rallier un journaliste à sa cause, si ces victoires rendent contestables auprès d’un nombre croissant de personnes les idées de justice et d’information. (…)
(Merci à Chateaubriandourien )