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Des Français, des Turcs, des Portugais, mais aussi des Espagnols, des Marocains, des Vietnamiens… “Il y a peut-être bien 50 nationalités ici” , tente Yannick Bouchard pour résumer le brassage du quartier de Perseigne, dans le sud de la ville d’Alençon. Voilà huit ans que l’homme dirige le restaurant d’insertion Aux goûts d’ici et d’ailleurs situé juste à côté de la place de la Paix, centre névralgique de cette cité populaire de quelque 5 000 habitants. La quarantaine avenante, il sait de quoi il parle : en cuisine, une Géorgienne, une Mongole et une Vietnamienne s’activent. Au service, un jeune Sénégalo-Algérien apporte les plats aux clients.

Mais dans cette tour de Babel que forme Perseigne, un pays manque désormais à l’appel : l’Afghanistan. La cause ? Une rixe mortelle survenue le 1er août, qui a déclenché l’exode de la soixantaine d’Afghans qui vivaient ici depuis quelques mois. Certains sont partis précipitamment, sans demander d’aide. D’autres ont été relogés ailleurs en Normandie. Vingt-huit ont quitté la région, indique la préfecture de l’Orne. Sur les quelque 130 Afghans réfugiés ou demandeurs d’asile présents dans la communauté urbaine d’Alençon au milieu de l’été, il n’en reste plus qu’une quinzaine.

Un “coup de folie” , selon les mots d’un retraité de Perseigne, est à l’origine de cette migration. Le 1er août en fin d’après-midi, une rixe d’une rare violence oppose deux groupes soit une quarantaine de personnes. Alors que les commerçants de la place de la Paix baissent leur rideau de fer en vitesse, Afghans d’un côté et riverains de l’autre s’affrontent. Tous, ou presque, sont équipés de barres de fer, de tournevis, de battes de baseball, de couteaux ou même d’armes à feu. La bataille rangée dure plusieurs dizaines de minutes, jusqu’à l’arrivée des pompiers. Massoud, un Afghan de 29 ans, meurt, touché par deux balles au bras et à la jambe. Dix autres personnes blessées, dont quatre par arme à feu, sont emmenées à l’hôpital, placées sous protection policière. Dès le lendemain, six fourgons de gendarmes arrivent sur place. Ils resteront une dizaine de jours pour sécuriser un quartier sous tension.

Le contexte de l’affrontement reste encore flou. Le 11 août, le parquet de Caen a ouvert une information judiciaire pour “meurtre et tentative de meurtre en bande organisée” et “tentative de viol en réunion” après le visionnage d’images de vidéosurveillance montrant un jeune Afghan victime d’une tentative d’introduction d’une barre de fer dans l’anus. Des armes laissées sur place sont en cours d’analyse.

Aucune interpellation n’a eu lieu pour le moment. “Avec cette rixe, l’agressivité réciproque entre deux groupes qui ne se supportent pas a atteint son paroxysme, mais le motif est flou. Nous n’avons que des rumeurs, pas de faits concrets ” , explique la procureure de Caen, Carole Etienne. Les rares Afghans restés à Alençon confient leur peur des “Arabes” , un mot désignant dans leur bouche certains Maghrébins de Perseigne.

(…) La rixe, Bernard assure ne pas l’avoir vue. Mais, dit-il, “il y a certains jeunes, ici, qui n’aiment pas les étrangers, et les Afghans ça les dérange.” Au quotidien Ouest-France, une riveraine a raconté une anecdote datant de quelques jours avant le drame, concernant un voisin. “En arrivant à Perseigne en voiture, il s’est fait arrêter par un jeune, qui lui a demandé : ” C’est quoi ton ethnie? ” Quand il lui a répondu être syrien, il l’a laissé partir. C’était comme un droit de passage. Mais, s’il était afghan, il ne l’aurait pas laissé passer.

(…) Au début de l’Aïd, cette fête musulmane entamée le 21 août, on lui a déconseillé, comme aux autres Afghans encore à Alençon, d’aller à la mosquée de Perseigne. Le jeune homme dit avoir vu rôder une voiture avec des gens armés devant le centre d’hébergement. Il répète en boucle : “No security. ” Ismael, un compatriote, résume : “Peu importe Caen ou Paris, je m’en fiche de la ville, je veux juste partir d’ici.” (…) Mais Didier Geslain, organisateur de plusieurs concerts en faveur des migrants à Alençon, regrette cette situation. “Eloigner les Afghans, c’est un recul de la démocratie et de l’Etat de droit , juge-t-il. Il n’y a pas de raison de céder à l’injonction d’une petite bande d’une quinzaine de cinglés.

(…) Le Monde

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