L’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, né à Fès, prend sa plume pour donner une leçon d’histoire et d’humanisme au nouvel homme fort de l’Italie, Mattéo Salvini, qui clame sans complexe sa haine des migrants.
Vous êtes en quelques mois devenu célèbre au point où certains médias étrangers pensent que vous êtes le président du Conseil de votre pays. Votre populisme vient de votre façon assez surprenante de faire de la politique. […]
Vous pensez que le peuple est avec vous. Vous n’avez pas tout à fait tort. J’ai appris que 72 % des gens interrogés approuvent vos méthodes. Le plus étrange est que 42 % parmi eux viendraient de la gauche. Il vous arrive de vouloir renouer avec les méthodes fascistes consistant à ficher certaines personnes tout en fermant à double tour les frontières d’un pays merveilleux qui a connu jadis les affres de l’émigration, du racisme et de l’exclusion. […]
La mémoire d’une certaine Italie est bien courte. Quand des familles entières quittaient le Sud pour aller chercher du travail en France et qu’ils étaient si mal reçus (16-20 août 1893, massacre des Italiens à Aigues-Mortes, suivi par d’autres bagarres où des immigrés italiens perdirent la vie). […]
Ce qu’on vous reproche, M. Salvini, c’est d’afficher une incitation à la haine, une banalisation de la discrimination, une attitude sans humanité face à un problème douloureux. La question des migrants vous aide à n’avoir plus aucun complexe face au racisme le plus insidieux et aussi le plus violent. À la limite, la question migratoire vous rend service. Sans les migrants et leurs drames, vous ne seriez peut-être pas aujourd’hui au poste où vous êtes. Vous devriez leur dire « Merci ».