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Un collectif de chercheurs affirme que la migration n’est « que le mécanisme le plus banal de l’histoire de la planète et de ses habitants».

Par Gilles Clément Jardinier, Emanuele Coccia Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Antoine Kremer Généticien, directeur de recherches à l’unité mixte de recherches Biogeco à l’Inra de Bordeaux, Jacques Tassin Agronome et écologue, chercheur au Cirad, Sébastien Thiéry Politologue, coordinateur des actions du Pôle d’exploration des ressources urbaines (Perou).

Biologistes, écologues, généticiens et paléontologues s’accordent sur un point: les animaux et les végétaux répondent aux changements environnementaux en s’adaptant ou en ajustant la distribution spatiale de leurs populations. […] Les migrations sont une condition de l’existence. L’évolution même est une forme de migration du vivant, en quête de formes et de fonctionnalités nouvelles, mieux ancrées à un monde qui, toujours, se recompose. […]

Cette vérité première vaut-elle cependant pour les hommes ? La biologie n’est pas la politique, et l’analogie avec les migrations humaines en cours est piégeuse. Ces dernières sont rarement déclenchées par une dégradation progressive des habitats usuels, mais la plupart du temps par des catastrophes les rendant brutalement invivables. […]

Il y a pour autant davantage qu’une analogie entre les déplacements opérant chez les non-humains et les humains. Il y a notamment la promesse d’une richesse dans la refonte de notre regard sur les «migrants», terme ô combien réducteur. Pas plus qu’il n’existe d’espèce vivante migrante en tant que telle, il n’existe de population humaine migrante en soi. Toute migration vivante n’est que l’expression temporelle d’une contingence. La penser comme autonome, ce serait précisément en faire une abstraction, voire assimiler certains peuples malmenés à des porteurs de gilet de sauvetage. Derrière le terme de migrant, il n’y a rien. Derrière l’homme que le terme désigne, il y a une traversée du monde. Et derrière toute jungle, quel que soit l’objet que désigne ce terme, il y a l’émergence même d’un monde en devenir. […]

Plus que de migration, il est affaire de milieux que l’on quitte, d’autres que l’on découvre et contribue à refaçonner, de confrontation entre populations, de postures hostiles ou accueillantes. Il est affaire de contextes, de nuances auxquelles l’idée anxiogène du grand remplacement ou de l’anéantissement possible de nos socles ne résiste pas un instant. Il est aussi affaire de richesses nouvelles, de recombinaisons, de forces conjointes générant des plans de recomposition. Il n’y a que des devenirs, écrivait Jean Borreil dans la Raison nomade. Ce sont eux qu’il faut voir. […]

Libération

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