L’ancien joueur français, à la tête d’une fondation engagée contre le racisme, s’oppose à la montée de l’extrême droite en Europe, à la discrimination et à la fermeture des frontières. “Tout le monde”, dit-il, “nous devons tous bouger”.
Lilian, aujourd’hui comment vous sentiriez-vous dans l’Italie de Salvini ?
Lilian Thuram, l’ancien grand champion du football français, aujourd’hui à l’avant-garde contre le racisme et la discrimination, reste silencieux pendant un moment, recueille ses idées. Vient ensuite la réponse: “Écoutez, j’ai joué en Italie en 2002 lorsque Jean Marie Le Pen est arrivé au second tour contre Chirac aux élections présidentielles françaises. J’avais alors honte d’être Français. Je me suis dit: comment cela peut-il être réalisé ? Aujourd’hui, si j’étais Italien, je ressentirais le même sentiment. Je trouverais honteux de voir mon pays représenté par une telle personne ». Après la piqûre, Thuram ajoute: “Mais nous ne devons pas nous arrêter au sentiment de honte. Nous devons réfléchir et nous engager à faire en sorte que les choses changent de manière positive.” (…)
Lilian, comment fonctionne la Fondation ?
“Malheureusement, ils m’invitent dans toutes les parties du monde. Je dis malheureusement parce que cela signifie qu’il y a beaucoup d’épisodes de racisme, alors beaucoup de personnes de bonne volonté m’inviteront à parler contre la discrimination. Dans quelques jours, je partirai pour le Pérou, parce qu’évidemment ces problèmes ne concernent pas seulement l’Europe, puis je me rendrai en Suède. Il y a de nombreuses raisons de s’inquiéter.”
Qu’est-ce qui vous inquiète en ce moment?
“Je m’inquiète d’abord parce que, comme vous le voyez, je suis noir et je sais que le racisme n’est pas une plaisanterie. Je suis inquiet parce que le racisme est toujours une violence et que de nombreuses personnes à la peau blanche ne réalisent pas à quel point la montée de l’extrême droite en Europe peut être dangereuse. Le premier acte de racisme est de dire que la présence de certaines personnes n’est pas légitime. C’est ce que nous disons aujourd’hui à de nombreux étrangers et la couleur de la peau vous identifie immédiatement comme un étranger.”
Que pensez-vous de la volonté de l’Europe de fermer ses frontières ?
“Il est tentant de dire : le monde est à nous, juste nous les Européens. C’est une tentation dangereuse, comme un monde dans lequel les hommes doivent dominer les femmes et tous les autres, et décider aussi au nom des autres. Le racisme découle aussi de ces fermetures, du désir de ne pas partager les richesses du monde. Beaucoup de gens considèrent qu’il est juste et tiennent pour acquis qu’il y a des pays pauvres. Il semble que l’immigration soit le plus gros problème en Europe, mais il y a peut-être tout un système économique mondial qui doit être remis en question.”
Il est donc important de travailler à l’éducation des enfants ?
“Oui, c’est important, mais ceux qui vont voter ne sont pas des enfants. Nous avons besoin d’un engagement de la part de tous, même de vous, les journalistes qui faites de l’information. Il faut agir, car la situation risque de s’aggraver. Répandre la mentalité selon laquelle une vie ne vaut pas une autre vie est extrêmement dangereux et peut mener à la violence.” (…)