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“Le brassage des origines est tel qu’il n’y a pas de racisme à Sarcelles”

Depuis ses débuts, Sarcelles est une terre de métissage culturel, un laboratoire du “vivre-ensemble”. Ses premiers habitants gardent des souvenirs heureux. “Dans les salles de classe, on venait des quatre coins du monde, mais on arrivait à se parler !” se souvient Isabelle Bentz, sarcelloise depuis l’âge de 8 ans. “Chacun faisait ce qu’il voulait chez lui et, le dimanche, nous nous retrouvions au parc Kennedy, où il y avait une pataugeoire. Les mamans donnaient des goûters à tous les enfants, peu importaient leurs origines”, ajoute celle qui est arrivée avec sa famille en 1969. Paul Bertrand se souvient aussi de cette époque où le vivre-ensemble n’était pas un impératif catégorique, mais une réalité au jour le jour. “Lorsqu’on jouait aux boules place André-Gide, il n’y avait pas un carré pour les Noirs, un carré pour les juifs et un carré pour les Arabes ! On jouait ensemble !” se remémore-t-il, un brin nostalgique. Sa famille, déracinée après l’indépendance de l’Algérie, a passé quelques années en province, avant qu’un ami de son père lui conseille de rejoindre le “paradis des pieds-noirs”. “Le brassage des origines est tel qu’il n’y a pas de racisme à Sarcelles. (…)

Mais, à la fin des années 1970, la tectonique change. Plusieurs lois – le regroupement familial, décidé par Chirac en 1976, ou encore la loi sur les APL portée par Raymond Barre – donnent l’impulsion d’un changement démographique non pris en compte par les pouvoirs publics. Une homogénéisation sociale de la ville voit le jour, sans que personne ne se soucie du brassage social, culturel, ou des moyens supplémentaires à fournir. Le prix de l’immobilier commence à chuter. De fil en aiguille, Sarcelles se paupérise, et cet appauvrissement entraîne un chassé-croisé entre les classes moyennes et les nouvelles vagues d’immigration : en trente ans, la population immigrée double dans le Val-d’Oise – c’est la plus forte progression de tous les départements.

“A partir des années 1980, tout change, explique Maya Nahum, journaliste arrivée de Tunis à Sarcelles avec sa famille en 1962. Les équipements urbains se détériorent, le bâti se dégrade faute d’entretien. On assiste à l’arrivée massive de familles nombreuses d’Afrique de l’Ouest. C’est à ces familles, sans autres ressources que les aides de l’Etat, que l’on reloue ces appartements sans les refaire à neuf.” “Quand je suis arrivé, il y avait dans mon immeuble la directrice de l’école Pasteur, la conseillère pédagogique en musique de la circonscription, une collègue institutrice de l’école élémentaire Saint-Exupéry…, explique Luc Bentz, professeur des écoles et syndicaliste. Au fur et à mesure, elles sont parties et ont été remplacées par des immigrés sans le sou fraîchement arrivés du Pakistan, de Haïti, etc.” Loin de créer une identité commune, cette multiplicité des cultures entraîne une affirmation des cultures d’origine. (…)

Des frontières invisibles entre les communautés

Aujourd’hui, le paradis diversitaire fait figure de chimère et la paix sociale semble fragile. Dan B*, médecin né à Sarcelles en 1968, a vu sa ville changer de visage et plonger dans l’ultraviolence. Lui-même a été agressé physiquement trois fois, car on s’imagine que son cartable de médecin renferme des “trésors”. Comme l’écrasante majorité de ses confrères – tel le Dr Chiche, également agressé à son cabinet l’année dernière -, il a renoncé à faire des visites à domicile. (…)

Avec la peur, des frontières invisibles s’érigent entre les individus aux expressions identitaires marquées. La ville de 60 000 habitants est sectorisée en ghettos ethniques. “On m’a proposé un appartement plus grand dans un autre quartier, près de la gare RER, mais je ne veux pas que mes enfants se fassent agresser sur la route de l’école. Ici, je suis dans une bulle, j’ai un confort qui n’a pas de prix. (…)

La fin du “multiculturalisme à la française”, à Sarcelles comme dans nombre d’autres quartiers (A. Rosencher) :

lexpress.fr

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