Dans cette grande ville des Alpes, les dealers ont pignon sur rue, engendrant agressions, règlements de comptes et trafics d’armes. Policiers, magistrats et élus tirent la sonnette d’alarme. Le ministre de l’Intérieur se rend sur place aujourd’hui.
Au milieu de ce paysage hérissé de montagnes, les dealers ne se cachent plus. À Grenoble, ville de 165.000 habitants, les vendeurs de drogue, tellement assurés de ne pas être trop inquiétés, ont pignon sur rue. Comme des simples primeurs, ils s’installent alors sur les trottoirs. Par beau temps, comme ce mercredi midi, ils sortent les chaises, la table. La canette de coca est posée sur le mur et parfois, il y a même de la musique. Cette scène n’est pas réservée à quelques quartiers. Elle se répète jusque dans le centre-ville. Avec ce commerce à ciel ouvert, Grenoble est désormais dépassée par la situation. Signe de cette impuissance : les trafiquants qui ont fait main basse sur la ville paradent sans casque, à deux ou trois sur des motos, sur les voies de tram. Les lois de la République sont foulées aux pieds au vu et au su de tous.
L’an passé, le procureur de la République, Jean-Yves Coquillat, avait d’ailleurs mis le feu aux poudres en rendant un verdict sans appel: « Je n’ai jamais vu une ville de cette taille aussi pourrie et gangrenée par le trafic de drogue », avait-il affirmé. Aujourd’hui, il ne renie aucune de ses paroles. « Pas un quartier n’est épargné par ces trafics qui sont à l’origine de la violence qui sévit ici», dit-il. Même si les chiffres concernant certains délits se sont améliorés cette année, le niveau de la délinquance générale reste aujourd’hui 53 % plus élevé que dans les autres agglomérations de taille similaire.
(…) La drogue qui ronge le bassin grenoblois ruine le quotidien des habitants. Ce sont « des facteurs qui ne font plus leur tournée dans certains quartiers », selon le procureur. Ce sont aussi, au rez-de-chaussée d’immeubles, des locataires brusquement délogés par des équipes qui, perçant le sol par les caves, font irruption chez eux. Ces caïds qui se sentent acteurs de l’économie vont jusqu’à passer des annonces pour recruter des guetteurs sur Leboncoin et laissent des messages sur des points de vente: « Nous prions notre aimable clientèle de nous excuser pour cette interruption momentanée… » À la manière de la mafia qui fait vivre des quartiers, ils prennent aussi en charge des activités. En été, pour les enfants, ils installent des piscines au cœur des cités en se servant des pompes incendie des pompiers… Une autre spécialité de la ville.
(…) Si l’État est accusé d’avoir délaissé ce territoire, la politique de Grenoble est aussi pointée du doigt. Éric Piolle et ses idées vertes font voir rouge à ses adversaires qui lui reprochent de ne pas assumer, par idéologie, ses pouvoirs de police et d’adresser de bien mauvais messages. Au lendemain de son élection aux municipales, l’élu avait lancé qu’il allait vendre à la ville de Nice ses 70 caméras de vidéoprotection. « Une boutade », selon lui, tout en ne voulant pas de programme de déploiement et en refusant aussi d’armer sa police municipale.
(…) Pour l’heure, Matthieu Chamussy demande le retrait aux entrées de la ville des panneaux où l’on peut lire: « Bienvenue dans une métropole apaisée. » « Ce message est perçu comme un déni de réalité insupportable par les habitants qui ont connu une agression. Et il y en a beaucoup. »