L’AFP a interviewé le rappeur franco-congolais Youssoupha à l’occasion de la sortie de son nouvel album “Polaroïd Expérience”. Il a déménagé à Abidjan en Côte d’Ivoire et a monté son label.
Le rappeur français d’origine congolaise, attaqué en 2009 par Eric Zemmour pour injures et diffamation, n’est pas intervenu dans les polémiques récentes concernant le sulfureux éditorialiste et essayiste, condamné en 2011 pour provocation à la haine et en mai 2018 pour provocation à la haine religieuse. Mais il en est convaincu, au sujet des discours pouvant encore parfois relayer des messages racistes: “Ce sont les derniers soubresauts, des boules puantes parce qu’ils voient qu’ils sont débordés“.
“Ça fait déjà des années que la réalité, c’est la diversité (…). On est sur le point de faire évoluer la culture. La diversité tire les gens vers le haut. Et ces gens-là ne sont pas à l’aise avec ça”, assure le natif de Kinshasa.
Il regrette que son ami le rappeur Médine ait dû déplacer son concert prévu au Bataclan, où lui-même devait monter sur scène à ses côtés. Après les attentats de novembre 2015, “on était tous en deuil, Médine y compris“, affirme-t-il. Les polémiques, les appels à annuler le concert dans cette salle frappée par une attaque jihadiste, “c’était de la caricature“, condamne Youssoupha. “Médine voulait participer à la réhabilitation musicale de ce lieu“. […]
Vous ne renoncez toujours pas à votre engagement auprès de la famille d’Adama Traoré, dont vous parlez dans cet album.
C’est important pour moi de ne pas lâcher. L’exemple m’est donné par sa famille, qui elle est confrontée à ça au quotidien pour réclamer justice et vérité pour la disparition de ce jeune homme. Et de manière générale mettre la lumière sur les violences policières qui durent depuis des décennies, et qui font surtout des victimes – pas exclusivement —, chez les jeunes, noirs, ou d’origines maghrébines, des quartiers populaires. Ce n’est pas un fait divers, ce n’est pas une anecdote, et Adama Traoré, ce n’est pas un jeune contre des policiers. On ne va pas le ramener et le problème ce n’est pas les policiers qui sont à l’origine de sa mort. Le problème est systémique. Il y a une dimension de conflit qui est mis entre deux types de population et qui crée ce genre de drames. Donc je me bats à leur côté, j’essaie de jouer de ma notoriété pour être un relais.
Dans Polaroid Experience, vous ne cachez pas vos opinions, et vous vous dites ennemis de Valls, de Macron, de Ménard, de Marion…
[…] Je ne suis pas en guerre avec les gens mais je me réserve le droit d’être en désaccord avec des modèles de pensée.Une idée que vous développez dans le titre « Mourir ensemble » ?
Ce titre prend, par l’absurde, la mentalité qu’on entretient un peu dans notre pays, de vouloir avoir des avis sur tout, et même sur la vie des gens et sur les choix qu’ils font. L’un des exemples les plus criants que j’ai vu ces dernières années, c’était la manif pour tous. Ça m’a traumatisé ce truc-là ! Je ne comprenais pas que des mecs et des meufs prennent de leur temps, pour demander que des gens n’acquièrent pas un droit qu’eux ont, et qui ne leur enlève rien. Ça me paraît aberrant. On dirait qu’on se force à être dans des cases, et on a besoin que les autres le soient aussi. Médine est musulman ? Il ne peut pas faire le Bataclan. Les homos sont homos ? Ils ne peuvent pas se marier. Hapsatou s’appelle Hapsatou ? Elle ne peut pas vraiment être française. On pense que l’accumulation d’identités ça nous soustrait alors qu’en fait moi j’ai l’impression que ça nous enrichit. Il faut faire comme si on était tous ensemble – une idée que je défends —, mais dans les faits ce n’est pas pareil. Il y a ce non-dit qui va créer des tensions, mais si on n’accepte pas de vivre ensemble, on risque de mourir ensemble.