De fausses enluminures représentant la science islamique ont trouvé leur place dans les bibliothèques et les livres d’histoire les plus réputés. Comment ?
Alors que je me préparais à enseigner à ma classe “Science et Islam” au printemps dernier, j’ai remarqué quelque chose de particulier dans le livre que j’étais sur le point de remettre à mes élèves. Ce n’était pas le texte – une merveilleuse traduction d’une encyclopédie arabe médiévale – mais la couverture. Son illustration montrait des érudits en turbans et en costumes médiévaux du Moyen Orient, examinant le ciel étoilé à l’aide de télescopes. L’enluminure était censée venir du Moyen-Orient prémoderne, mais quelque chose n’allait pas.
En plus des couleurs un peu trop vives et des coups de pinceau un peu trop propres, ce qui me dérangeait, ce sont les télescopes. Le télescope était connu au Moyen-Orient après que Galilée l’eut mis au point au XVIIe siècle, mais presque aucune illustration ou enluminure n’a jamais représenté un tel objet. (…) La contradiction la plus frappante, cependant, était la plume d’oie dans la main du quatrième personnage. Les érudits du Moyen-Orient avaient toujours utilisé des roseaux pour écrire. Il n’y avait plus aucun doute : l’illustration de la couverture était un faux des temps modernes, se faisant passer pour une illustration médiévale.
La fausse enluminure représentant des astronomes musulmans est loin d’être un cas isolé. (…) Ces images contemporaines ne sont en fait pas des “reproductions”, mais des “productions”, voire des faux, faites pour séduire un public contemporain en prétendant représenter la science d’un passé islamique lointain.
Depuis les boutiques touristiques d’Istanbul, ces travaux se sont aventurés très loin. Ils ont trouvé leur place dans des affiches de conférence, des sites Web éducatifs et les collections de musées et de bibliothèques.
Le problème ne se limite pas aux touristes naïfs et aux universitaires parfois dupes : nombre de ceux qui étudient et enseignent l’histoire de la science islamique se sont engagés dans une sorte d’escroquerie similaire. Il existe aujourd’hui des musées entiers remplis d’objets réimaginés, façonnés au cours des 20 dernières années mais destinés à représenter les vénérables traditions scientifiques du monde islamique.
L’ironie, c’est que ces fausses illustrations et ces faux objets sont le produit d’un désir bien intentionné : celui d’intégrer les musulmans dans une communauté politique mondiale par le récit universel de la science. Ce souhait semble d’autant plus pressant face à la montée de l’islamophobie. Mais que se passe-t-il lorsque nous commençons à fabriquer des objets pour les contes que nous voulons raconter ? Pourquoi rejetons-nous les véritables vestiges matériels du passé islamique pour leurs homologues confinés ? Quelle est exactement la légitimité de la science dans l’Islam que nous espérons trouver ? Ces faux révèlent une préférence pour la fiction plutôt que pour la vérité. Ils soulignent un problème plus vaste concernant les attentes que les chercheurs et le public placent sur le passé islamique et son héritage scientifique.
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