D’abord, il y a une couverture de Libération, un samedi, avec ce titre : «le viol colonial». Tout un dossier est consacré à un livre, Sexe, Race et Colonies (éditions de La Découverte), livre coordonné par l’historien de la colonisation Pascal Blanchard. A lire Libé, le projet semble clair : ce livre dénonce l’exploitation sexuelle des colonisé·e·s par les colonisateurs français, tout au long de la colonisation, en Afrique, en Afrique du Nord, en Asie, dans l’océan Indien, partout. Parfait. Arrive l’objet. Il est lourd (plus de 4 kilos). Il est cher (65 euros). Pourquoi si lourd ? Pourquoi si cher ? Parce qu’il est truffé de photos : plus de 1 200 images. De tous types (tableaux, caricatures, affiches, photos). De tous formats. En noir et blanc et en couleur. Parfois se déployant seules, langoureusement, sur une double page. Parfois comme entassées dans les cales, à quatre ou cinq par page. Des corps noirs. Exhibés, pénétrés, enlacés par des corps blancs. Evidemment, des textes autour. Mais qui va lire les textes ? On feuillette. Et on a envie de vomir. C’était donc ça, ce livre de dénonciation dont parlait Libé ?
Ce n’est pas qu’on soit spécialement bégueule. On n’a rien de particulier contre le porno. On vomit parce qu’on a cru ouvrir un livre d’histoire, et qu’on se retrouve en train de feuilleter un gros beau livre porno. Vous savez, les beaux livres, sur les tracteurs, les peintres du Quattrocento ou les pipes en écume ? Cette fois, c’est un beau livre de viols coloniaux. Oui, certains lecteurs vont le lire d’une seule main. Tout le monde fait semblant de ne pas le savoir, de regarder ailleurs, mais l’auteur le sait. L’éditeur le sait. Les libraires le savent, s’ils ont ouvert le livre. On ne sait pas trop ce que ce livre vient chercher en nous, mais c’est sale. C’est quelque chose d’englué dans les tréfonds boueux de la mémoire collective française. Et on reste seuls, avec ce quelque chose. A aucun moment, les auteurs n’ont tenté d’y coller des mots. Bien sûr, il y a les textes. Mais, le plus souvent, ils parlent d’autre chose que des images qui les assaillent et les rongent comme des plantes vénéneuses. Comme si eux aussi, ils regardaient ailleurs. Il est peu probable, d’ailleurs, que les auteurs aient su exactement quelles photos viendraient illustrer leurs lignes. Ils n’auraient pas écrit si détaché. (…)