Journaliste français et auteur de plusieurs biographies politiques, dont la dernière consacrée au président Kennedy, « Kennedy ou l’invention du mensonge » (éditions de l’Archipel), Stéphane Trano a décidé de s’installer aux États-Unis et de reprendre, à 40 ans passés, des études à l’université de Columbia. […] Deux fois par mois, il raconte pour « Le Point » la façon dont le courant différentialiste appliqué à l’antiracisme, au féminisme, etc. chamboule la vie de son université et des étudiants, à commencer par la sienne. Et finit par compromettre le vivre-ensemble. Dans cette première chronique, il est question de devoir raté, de « problème de langage » et de « micro-agression ».
« Problème de vocabulaire », a écrit l’assistant du professeur de psychologie au bas de mon devoir de recherche pour justifier un retrait de trois points de ma note finale. J’avais pourtant fait relire mon travail au professeur avant de le rendre pour correction et j’avais pris en compte ses observations à la lettre près jusqu’à ce qu’il se dise pleinement satisfait. Il s’agissait de présenter un article scientifique sur l’impact du stress lié à la représentation de soi lors des examens scolaires, une étude comparative de deux échantillons de population d’origines africaine et asiatique.
Je suis donc retourné consulter mon professeur, ma note décevante en poche, afin de comprendre mon erreur. Surpris, il se concentre sur ce devoir qu’il a déjà validé, laisse échapper un « c’est étrange » à deux reprises, avant que son œil ne s’arrête sur une phrase. « Hum, je vois… », finit-il par dire. À cet instant, je suis chanceux, car ce professeur a la particularité de maîtriser le français. « Je pense que ton correcteur fait référence à l’usage du mot Noir dans ton papier », annonce-t-il, avant de conclure : « Habituellement, on dit Afro-Américain. » Contrit, j’explique que, dans mon esprit, il n’y avait aucune intention d’offenser, et le professeur répond : « Je le comprends bien, c’est un problème de langage, je crois qu’en français ce mot n’est pas perçu de la même manière, je vais te redonner les points perdus. Tu le sauras pour la prochaine fois. » […]
Mais, en réalité, nous nous tenons à distance de plus en plus les uns des autres depuis que l’université a massivement promu le concept de « micro-agression ». Demander à un camarade d’où il vient au prétexte de sa couleur de peau ou de son accent est ainsi considéré comme l’expression d’un stéréotype de nature à être signalé à l’institution. J’écris donc prudemment, je ne pose pas de questions et je me surveille constamment de crainte d’être, par mon existence même, une offense.
Merci à Dupontdurand